J'avais passé l'après-midi à lire à Central Park, allongée dans l'herbe. Je ne me lassais pas de cette petite habitude. Quand j'étais petite, j'y allais toujours avec mes frères - ils ne m'auraient jamais laissée m'y rendre seule - pour nous asseoir par terre et nous raconter des histoires.
Maintenant, les histoires, je me les racontais toute seule. Il était quatre heures et demi pile et c'était l'heure du goûter. Je ne l'aurais manqué pour rien au monde. Je rentrai donc dans le starbuck pour me prendre un café à boire avec les biscuits que je gardais dans mon sac. Je n'aimais pas le café, mais Jo', un de mes frères, me serinait depuis que j'étais petite qu'il ne me considérerait comme une grande fille que si j'en buvais.
Et bien sûr, bien que n'aimant pas, je me suis retrouvée à en avoir besoin pour tenir toute la journée. C'est que j'étais une fille pleine d'énergie.
Je m'approchai du comptoir. En ma qualité de jeune fille célibataire, le sex-appeal du serveur ne m'échappa pas. Grand, les cheveux bruns, l'air ténébreux des mauvais garçons brillant dans son regard, il me fit perdre tous mes moyens. Pauvre cruche que j'étais.

- Bonjour, je voudrais un expresso, s'il vous plait. Bredouillai-je au beau jeune homme.

Bien sûr, il me demanda de répéter en y mettant le ton, et sa voix me fit dérailler. Je finis par montrer ce que je voulais du doigt avec un regard d'excuse : cruche, cruche, cruche!
Il me sourit tout de même - et je pris sur moi pour ne pas baver - et alla me chercher ce que je demandais - enfin, demander était peut-être un peu fort comme mot.
Avant qu'il ne revienne, je tentai de me reprendre

"Ash', ce beau jeune homme est pris, ce beau jeune homme est pris" me répétai-je.

Bien sûr qu'il était pris, les plus beaux étaient toujours pris. A croire que dès l'adolescence, il fallait réserver sa place et attendre en espérant qu'aucune des précédentes ne soit la bonne. Et bien sûr, je n'avais pas été informée de cette coutume.
Il me ramena mon expresso sans se départir de son sourire, et il ne me resta plus qu'à recommencer ma litanie. Je payai ma boisson, récupérai ma monnaie et...
Non, il ne m'arriva pas de catastrophes. Ouf!

J'essayais de calmer les battements puérilement rapides de mon idiot de petit coeur en m'installant au comptoir. J'étais d'autant plus embarrassée que le beau jeune homme me dévisageait, pensant vraisemblablement à autre chose. Comment expliquer qu'un garçon aussi beau me regarder ainsi., si ce n'était pour ça?
Je savais que je rougissais.

- Elle avait les yeux noirs... Lança-t-il alors.

Je vis une lueur d'embarras fugitive traverser son visage. Il ne pouvait certainement pas parler de moi, j'avais les yeux chocolat.
Je lui lançai un regard interrogatif.

- Euh... Qui donc? Demandai-je, peu sûre de moi.

Peut-être ne s'adressait-il pas à moi, mais il avait réellement éveiller ma curiosité.
Il utilisait le passé, c'est qu'il ne s'agissait pas de sa copine.
Son ex? Et en quoi l'examen de mon visage avait pu l'amener à cette constatation.
Je lui fis un pauvre sourire perdu. Réfléchissant à toute vitesse, espérant que ma volonté d'en savoir plus ne l'avait pas fait fuir.
Et après tout, peut-être était-ce un moyen d'engager la conversation, du genre :

"Mon ex avait les yeux noirs, je n'aimais pas ça, donc je l'ai larguée... Je préfère les yeux marrons. Comment tu t'appelles? Tu veux être ma copine?..."

J'étouffai un rire. J'avais beaucoup trop d'imagination. Je regardais vraiment trop de film. Ma propre stupidité aurait pu servir de scénario, ça aurait fait un tabac à Hollywood.
Je me remis à siroter mon café et sortit mes biscuits, n'attendant plus de réponses de mon bel Appolon.

- Personne, désolé.

Patatra le beau scénario... Pourquoi avec toute l'imagination que je possédais, j'étais toujours incapable d'anticiper la réalité?
Non, je refusais de voir mon beau serveur disparaître. Il restait là, devant moi, mais ne me voyais plus, plongé dans ses pensées. Dans vingts secondes, il allait s'envoler. Non! Non! Non!

- Un biscuit? Lui proposai-je avec un grand sourire en tendant mon paquet.

Il sembla surpris que je lui propose. Il avait l'air si triste, c'était décidé, je ne l'abandonnerais pas.
Il accepta mon geste avec un petit sourire. J'en profitai pour le garder avec moi encore un peu.

- Han, han! Dis-je en secouant la tête en ramenant le paquet avant qu'il en prenne. D'abord, je veux un vrai sourire.

"Et si possible connaître l'identité de l'inconnue aux yeux noirs"... Qui a dit que j'étais obstinée?

Je lui montrais l'exemple avec exagération et pris l'air espiègle de celui qui attend une sucrerie. Je le regardai droit dans les yeux, attendant qu'il s'exécute.

Après m'avoir lancé un un regard empli de surprise et marqué un temps d'hésitation, il m'offrit un large sourire.

- A votre service Me lança-t-il.

Ne le connaissant pas, je n'arrivais à savoir si son sourire était sincère ou s'il le faisait juste pour que je lui fiche la paix. Dans le doute, je lui fis un nouveau sourire, le remerciai puis posai mon paquet sur le comptoir, au milieu. S'il en voulait, il n'aurait qu'à se servir. Je n'allais pas lui mettre dans la bouche comme un chien à qui on donnait un su-sucre pour avoir fait le beau, non plus.
Je décidai de rebondir sur sa dernière phrase.

- C'est pas pour moi que je voulais vous voir sourire, même si j'avais très envie de voir vos jolies dents... C'est pour vous. J'ai découvert que c'était le remède parfait contre la morosité. Déclarai-je avec un haussement d'épaules.

Il ne répondis pas tout de suite, et je me demandai si c'était parce que je l'avais vêxé en lui disant qu'il était morose.
J'étais à cours d'idées pour le garder près de moi et mon sourire s'effaça. Je ne savais même pas son nom et il allait partir, j'en étais sûre. Pour cacher mon trouble, je me dépêchai d'amener la tasse de café à mes lèvres. Jusqu'à maintenant, je n'avais fait que le siroter, je ne m'étais pas rendu compte qu'il était si chaud. Je grimaçai de douleur. Au moins, ça dissimulait bien la disparition de mon sourire.

- Je reviens dans un instant.

Et voila, je le perdais. Il allait disparaître. Pourquoi reviendrait-il? J'étais une idiote avec un paquet de biscuit qui lui avait balancé qu'il était morose. J'avais vu son regard dur, j'étais une imbécile.
D'habitude, j'étais capable de faire sourire sincèrement n'importe qui, de lui transmettre ma bonne humeur. C'était comme un pouvoir : diffuser ma joie de vivre. Je n'avais même pas besoin de faire d'effort, c'était contagieux.
Mais force m'était de constater que j'avais perdu mon pouvoir magique!
Je mordillai un de mes biscuit en me forçant à ne pas me retourner pour regarder où il allait.
Je savais qu'il était au travail, mais je ne pouvais pas m'empêcher de me dire qu'il ne s'était pas envolé, je l'avais fait fuir.
Je fronçai les sourcils. Etais-je aussi inintéressante?
Soudain, mon beau barman se remit en face de moi, une expression tout autre sur le visage. Il me regarda droit dans les yeux. Allait-il me demander de déguerpir?

- Votre prénom en échange d'un sourire sincère.

Malgré moi, je fis un grand sourire ravi et soulagé.
Je ne l'avais pas fait fuir! Je m'étais encore fait des films. Comment avais-je pu croire que je pouvais avoir un tel impact sur les gens?

- Je m'appelle Ashley. J'ai le droit de savoir le votre si je promets de ne plus essayer de vous acheter avec mes biscuits? Demandai-je en me mordant la lèvre avec le sourire de quelqu'un qui craint la réponse et qui croise les doigts.

J'étais tellement soulagée qu'il soit revenue que cette fois, je n'allais pas le laisser s'éloigner. J'allais revoir son sourire. Et j'aimais beaucoup son sourire.

Je vis alors la différence entre les deux sourires qu'il m'avait offert. Le premier n'était qu'un pale écho de celui qu'il me fit alors. Je préférais celui-là. L'autre n'avait pas le dixième du charme que possédait celui-là. Et dire que je l'avais trouvé beau.
Mais il disparut si vite que j'en fus déconcertée. Comme s'il avait compris qu'il avait fait quelque chose de répréhensible. Quoi? Sourire à une inconnue barbante était si mal?

- Charlie, lâcha-t-il alors, sans plus du tout me regarder.

Je ne remarquai qu'il avait pris une tasse que lorsqu'il entreprit de la nettoyer. Tout cela c'était passé si vite, à quel moment mon moment parfait c'était-il interrompu? Je devais vraiment être une gourdasse! Il me tournait le dos, je devais faire quelque chose pour le retrouver, qu'il revienne. Je n'admettais pas de le perdre comme ça. Je ne le connaissais pas, mais il m'avait l'air d'une nature trop intéressante pour que je le laisse filer. Sans compter que j'aimais ses yeux et son sourire. Je voulais déjà les revoir.
Il revint alors à moi. Etait-ce moi ou ce garçon était du genre à faire un pas en avant et deux pas en arrière?
Son expression insondable était différente des premières. Combien en avait-il en stock?
Mais rien ne saurait entacher ma bonne humeur, pas tant qu'il revenait, du moins. Même si je n'arrivais pas à le cerner, même s'il m'échappait quand je croyais l'avoir attrapé.

- J'aime beaucoup ce prénom. Lui dis-je en lui souriant encore.

C'était entièrement vrai, Charlie était mon personnage préféré dans Lost, depuis, j'avais décidé que mon enfant s'appellerait ainsi. Fille ou garçon.
Pourtant, je trouvais ce que je disais complètement inintéressant, je devais trouver autre chose, ou cette fois, il ne reviendrait pas.

- Je me demandais... Et-ce que... Est-ce que je peux vous tutoyer? J'ai un peu du mal avec les vouvoiements. Demandai-je dans une grimace d'excuse.

Là, c'était simple, ou il allait fuir ou me jeter me disant que nous n'étions pas proches et qu'il n'y avait aucune raison pour qu'on se tutoie, ou il allait accepter. Il n'avait pas montrer de véritable désir de se lier avec moi, malgré certaines tentatives, mais vu ce qu'il avait fait par rapport à la demande du premier sourire, je l'imaginais bien accepter pour ne pas me froisser. Ou ne pas accepter du tout... Bon j'avoue, je ne savais pas du tout ce qu'il allait répondre. Ca me frustrait!
Je voulu porter la tasse à mes lèvres, mais je me rendis compte qu'il ne me restait plus qu'une gorgée à boire. Plus qu'une gorgée et je n'aurais officiellement plus aucune bonne raison de rester.
Je me remis donc à le siroter. Je voulais faire durer le plaisir, qui sait si je pourrais le revoir un jour.

Caressant ses lèvres d'un air distrait et pensif, il se tourna à nouveau vers moi et me fit face. Mais encore une fois, je ne parvenais pas à déchiffrer son expression. Il était si mystérieux! S'en rendait -il compte?
Remarquait-il seulement qu'il ébranlait ma conviction selon laquelle sourire guérissait tout les maux. Il m'avait sourit et n'allait pas mieux pour autant.
J'attendais toujours la réponse à ma question.


- Bien sûr. Tu en veux un autre ?

Je souris. Il acceptait. J'étais contente. Il n'avait pas l'air de faire ça pour me faire plaisir. Il acceptait, c'est tout. Etais-je parvenue à établir un lien?
Combien de client dans ce café devaient avoir réussi ce tour de force? Une centaine, rien qu'aujourd'hui, j'en étais sure. Pourtant, j'étais tout de même contente de moi.
De plus, que ce soit volontaire ou non, il me donnait une raison officielle pour rester. Bien sûr, les chances pour que je parte maintenant étaient inexistantes, mais j'étais incapable de trouver une raison à donner en cas de question.
"J'aime le sourire du barman" ressemblait fort au genre de phrase qu'il ne valait mieux pas énoncer à voix haute, aussi vrai fut-elle.
Malheureusement, j'avais atteint mon quota de café pour la journée. Ce liquide avait vraiment un goût répugnant, quelque soit la personne qui le servait.

- Je préfèrerais un chocolat chaud, s'il te plait. Demandai-je avec un sourire.

Si Jo' était là, j'aurais le droit à une remarque dédaigneuse: "Gamine". Soit, j'étais une éternelle gamine qui attendait toujours le meilleur de la vie. Optimiste.
Charlie l'était-il aussi? Si c'était le cas, il ne le montrait pas.

- Pour être franche, je n'aime pas le café. Expliquai-je avec un sourire qui réclamait l'indulgence.

"Oui je sais que ma première tasse était remplie de café. Ne m'envoie pas rejoindre ma mère à l'asile, pitié!" que ce sourire voulait dire.
Il me regardait d'un air surpris.

- C'est de la faute d'un de mes grands frères, Jo'. Déclarai-je en montrant la première tasse du menton. Plus jeune, il disait que je si je ne buvais pas de café, c'était que j'étais encore une petite fille. C'est ridicule, mais lui, mes autres frères et mon père ne cessait de me considérer comme une gamine! Ils ne me lâchaient pas la grappe! Alors, j'ai voulu lui montrer. Ca l'a bien fait rire. Sauf maintenant, c'est devenu une habitude, même s'ils ne me considèrent pas pour une adulte pour autant. Ajoutai-je en riant.

Pourquoi est-ce que je lui racontais ça? Qu'en avait-il à faire de mes goûts, de ma vie, de mon enfance? Etais-je obligée de toujours être franche en permanence? Avais-je réellement besoin de me justifier à un inconnu?
C'était adorable de sa part de ne pas me jeter dehors, ça en rajoutait encore à son charme, je trouvais. Tant d'indulgence et de patience! Je n'avais jamais vu ça.

[Dsl, j'ai le cerveau un peu vidée par la fatigue, Ashley est assez calme dans ce post... J'arriverais peut-être à me rattraper dans le prochain.
Bisouuus, je t'aimeuh.]

- Ton frère est un con, me lance-t-il avec un sourire craquant.

Je ris, étonnée qu'il ait écouté la totalité de mon monologue. Peut-être qu'effectivement, un lien s'était tissé, imperceptiblement...
"Ne t'embales pas Ash', il a juste insulté ton frère, il ne t'a pas demandé ton numéro de téléphone."
Mais il avait dis ça d'un ton tellement naturel. Ca me perturbait. Quelque chose avait changé dans l'atmosphère de notre conversation. Enfin de notre... Echange.
Il était venu petit à petit, depuis son retour de je-n'sais-pas-où. Peut-etre à partir du moment où je ne l'ai plus harceler avec mes biscuits.
Il n'ajouta rien. Moi je ne savais pas quoi répondre.
Maintenant qu'un contact avait été établi, j'étais sans voix. Charlie avait réussi à me réduire au silence, moi, la plus grande bavarde de tout New York.

- Et voila. me dit-il en me servant ma commande.

Je ne pus rien faire d'autre que de lui sourire. Retour à la case départ, au début de notre rencontre, quand j'avais été obligée de lui montrer ma commande parce qu'il m'avait troublée. Maintenant qu'il faisait un pas vers moi alors qu'il avait passé la conversation à fuir et revenir, c'était moi qui reculais.
De quoi avais-je peur? Du fait que j'avais réussi comme une idiote a tourner la conversation vers moi, moi qui à la base, cherchait à le comprendre, lui?
Non, j'étais contente qu'il me donne l'impression de s'intéresser à moi. J'avais l'impression d'une réciprocité dans notre échange.

- Alors qui es-tu, Ashley ? Me demanda-t-il alors, son visage toujours aussi insondable arborant une nouvelle expression que je ne lui avais pas encore vue.

Je le regardai toute étonnée. Tirée de mes réflexions, je n'avais pas vu la transition dans la conversation. Avais-je loupé une étape? Avions-nous continué à discuter sans que je me rende compte?
J'ai toujours su que j'avais une double personnalité!
Je me repris, consciente que mon beau barman au sourire d'ange attendait une réponse. L'ennui, c'est que ce n'était pas le genre de questions auxquelles il était facile de répondre.

- Tu veux mon curriculum vitae ou mon état civil? Demandai-je d'un air espiègle.

Je lui fis un grand sourire. Avec un peu de chance allait-il y répondre en m'en faisant un à son tour.

Je me mordis la lèvre en le voyant s'accouder au comptoir. Si j'avais bien compris ce qu'il voulait, il me demandait de lui raconter ma vie, telle que personne ne la connaissait. Savoir ce qu'il se cachait derrière le sourire.
C'était exactement le genre de question qu'il ne fallait pas me poser. Que personne ne me posait d'ailleurs. Au fond, quelle importance de qui j'étais? Les autres n'avaient jamais eu besoin de me connaître pour profiter de ma présence.
J'étais l'exaspérante Ashley, toujours souriante et qui réparait toutes les blessures. Un sourire, une parole et le soleil brillait. Qui étais-je en dehors de ça?
Une boule d'énergie, qui puisait sa force dans la peur de la déprime. Tout pour ne pas finir comme ma mère. Ne jamais se morfondre, jamais.
Pourquoi me poser cette question. La réponse ne l'intéressait sans doute pas. Pourquoi l'aurait-elle intéressée?
Comme toujours quand j'étais bouleversée, je souris. Me découvrir ? Plutôt crever. Je préférais davantage le noyer sous les détails, pour peu qu'il écoutât vraiment.

- Je m'appelle Ashley Bush, j'ai 23 ans, je suis diplômée de Lettres modernes. J'aimerais être prof, mais je ne suis pas assez mature je trouve, donc pour le moment, je suis équipière au King Burger. J'ai vécu avec mes 4 grands frères - Kieran, Oliver, Jimi et Jo' - et mon père - Alexandre. Comme j'étais la plus jeune et la seule fille, ils m'ont surprotégée, ce qui n'était pas du tout à mon goût. Tu sais, je suis du genre indépendante. Pour échapper à leur surveillance, je me suis mise dans de drôles de situations. Du coup, ils ont été encore plus derrière moi. Heu... Ah oui, sinon, ma meilleure amie, s'appelle Emily Stevens, c'est ma soeur Soleil. Et... Bah heu... C'est tout je crois. Racontai-je d'un air enjoué.

Essayant de ne pas réfléchir au fait que j'avais été absolument ridicule, je bus une gorgée de mon chocolat chaud. Allait-il arrêter de m'adresser la parole? Après tout, c'était lui qui avait demandé.

Je scrutai sa réaction à mon monologue en me morigénant. J'avais été stupide, comme d'habitude. Pour une fois que quelqu'un cherchait à me connaître, je l'envoyais sur les roses à grands renforts de détails inutiles. Au fond, il me donnait l'attention que tout le monde me refusait. Qu'est ce qui me gênait là dedans? Frustrée, je regardai son sourire.
Le seul sourire sincère qu'il avait bien voulu me faire avait été reconnaissable par un petit quelque chose que les autres n'avaient pas. Que celui-là n'avait pas.
Il recula d'un pas, littéralement cette fois. Je me serais donnée des gifles pour l'avoir fait fuir à nouveau en ne lui donnant pas ce qu'il attendait.

"Qu'en sais-tu, de ce qu'il attendait!!"

Mon manque de confiance en moi contre mon imagination, lequel allait gagner?
Je ne savais pas. J'observai. Je ne le cernais toujours pas, mais j'avais cette impression, comme si j'avais coupé un élan. Il ne cherchait d'ailleurs pas à revenir.


- Tant de choses à dire, hein ?

Je grimaçai imperceptiblement derrière ma tasse. J'étais une imbécile!
Il était adorable, de quoi avais-je peur? Qu'il me juge? Non, ça, c'était sûrement déjà fait. Qu'il se braque? J'étais la fille d'une folle, il y avait fort à parier que ça risquait de le faire fuir. Mais depuis quand j'avais peur de faire fuir les gens?
Surement depuis que je parlais à un serveur sexy au sourire qui était déjà devenu comme une drogue.
Mais j'étais débile, quoi? Il était déjà en train de fuir!
Je l'entendis parler, mais sa phrase se perdit dans mes pensées. Et voila que maintenant, je ne l'écoutais plus. Bah voyons.
Je finis le chocolat chaud d'une traite. Ma langue avait déjà été brulée par le café, si bien que je ne ressenti vraiment la chaleur qu'une fois que le liquide se trouva dans ma gorge.
Et maintenant, j'avais mal.
Je secouai la tête.

"Jette-toi à l'eau, Ash', ça ne peut pas être pire."

- Je n'ai pas été très franche avec toi. Lançai-je dans un souffle.

Maintenant que la phrase avais été dite, je ne pouvais plus reculer. Je fermai les yeux, espérant que si je ne voyais pas que quelqu'un se trouvait devant moi, ça serait plus facile.

- C'est juste que... J'ai pas l'habitude qu'on pose cette question. C'est... effrayant. D'habitude, c'est moi qui cherche à comprendre les autres, pas l'inverse.

Je rouvris les yeux. Je ne souriais plus. J'étais prête à mourir, je m'étais découverte. Et à quelqu'un que je cherchais à découvrir, de surcroît.

Il se perdit dans ses pensées. Il devait certainement trouver que j'étais la fille la plus nulle qu'il ait rencontrer. C'était obligé.
Mon ventre était contracté, mon coeur battait, j'attendais sa réaction avec appréhension. Il avait eu ce qu'il voulait, il avait vu une Ashley sans sourire. Ashley et une de ses plus grandes peurs. Pas la plus grande. Je ne me sentais pas capable de la formuler, celle là.
Paradoxalement, je me sentais libérée d'un poids que je n'étais même pas sûre de porter. Comme si, pour la première fois de toute ma vie, j'étais une comédienne qui avait mis son rôle de côté pour être la vraie Ashley, celle qui se confiait.
Deux émotions se battaient en moi. La honte et le soulagement. Peut-être n'aurais pas eu ce problème si je n'avais pas si peur de consulter un psy. Je pensais tellement ne pas en avoir besoin. Quelqu'un qui sait gérer les problèmes d'autant de monde devrait être capable de gérer les siens. Ils étaient si infimes comparés à ce des autres.
Je me rendis alors compte qu'il me regardait.

- Désolé.

Je le regardai avec des yeux ronds. J'étais celle qui l'avait dérangé avec mes bavardages incessants. J'étais celle qui l'avait obligé à sourire contre un biscuit dont il n'avait même pas voulu. J'étais celle qui l'empêchait de travailler. J'étais celle qui venait de se confier, comme si ma déclaration avait valu la peine d'être formulée.
Et malgré tout ça, c'était lui qui s'excusait?

- Je ne comprends pas. Désolé, de quoi? D'être le seul dans cette ville à essayer de savoir qui je suis vraiment? Lâchai-je, incrédule.

Le seul qui s'intéressait vraiment à moi s'excusait de le faire. C'était l'unique personne à ne pas avoir seulement vu la souriante prête à tout pour aider les autres. Même ma meilleure amie n'avait jamais chercher plus loin que la surface. Et malgré tout, c'était lui qui s'excusait.
Je lui souris. Un sourire reconnaissant.

- Je ne crois pas que tu aies à t'excuser. Je pense plutôt que je devrais te remercier.

Les sourcils froncés, il porta la main à son front. Je commençais petit à petit à différencier chacune de ses expressions, comme j'avais été capable de décrypter ses sourires.
Il était pensif, ma phrase avait eu un impact. Bien plus que la dernière. Mais il ne semblait pas fuir.
Son expression ressemblait désormais davantage à de l'émotion qu'à une volonté de fuir, d'ailleurs.

- Mmh... Dit-il et j'eus l'impression que son sex-appeal allait me faire chavirer.

A quoi pensait-il? Mais pourquoi étais-je incapable de lire dans les pensées? Mon envie de le connaître et de le comprendre n'avait fait qu'amplifier. Il était tellement différent de ceux qu'il m'avait été donné de rencontrer. Si spécial... Je sentais que je m'attachais autant à lui qu'à son sourire.
Je le laissai dans l'examen de sa main qu'il venait d'entreprendre. Que cherchait-il, à la fin?
Soudain, il se redressa et commença à faire le tour du comptoir.
Non, non, non! Pourquoi partait-il? Je croyais pourtant que le courant passait enfin!
Non, mon imagination me jouait encore un vilain tour : il cherchait à s'installer plus confortablement. Ca voulait dire qu'il comptait rester avec moi! J'étais tellement surprise que j'en restais sans voix.
Enchantée, je le regardais se remettre en face de moi sur la haute chaise qu'il avait pris à coté de la mienne et poser ses coudes sur le comptoir.


- Tu vois cette marque ?... Me demanda-t-il alors en me montrant sa main droite.

Effectivement, quand on regardait bien, il était possible de voir une stigmate parcourant sa main. Je le regardai à nouveau dans les yeux et lui fis un signe d'assentiment.

- Je la dois à un 'merci'. Je devais avoir huit ans, je venais de retrouver ma mère après une journée à l'école. Quand je suis rentré, j'ai trouvé un magnifique vélo rouge, j'étais aux anges. J'ai préféré remercier ma mère avant de fermer notre portail comme j'aurais du le faire... et c'est au moment où le mot est sortit que la porte s'est refermée sur moi, a abimé cette main. Je le savais, pourtant. Je devais fermer les grilles avant de rentrer... Mais la gratitude a tellement de valeur...

Au milieu de son récit, un petit sourire c'était peint sur son visage.
Moi, j'osais à peine respirer. Je n'arrivais presque pas à croire qu'il se confiait, comme ça de lui-même, lui qui n'avait pas cesser de faire un pas en avant et trois pas en arrière.
Touchée, je lui fis un petit sourire.
Je gardais pour moi la tristesse que l'évocation de sa mère avait provoquée en moi. J'étais douée pour ça. Si je devais pleurer à chaque fois que quelqu'un parlait de sa mère, j'avais pas fini, vu le nombre de personnes qui se confiaient à moi... Néanmoins, j'enviais la chance qu'il avait de pouvoir partager des souvenirs d'elle, n'en ayant aucun avec la mienne. Elle ne se rappelait même plus qu'elle avait une fille...

- Charlie, demandai-je alors en baissant les yeux puis en les ramenant à lui. Est-ce que... Enfin... J'aimerais en savoir plus sur toi... Si ça ne te dérange pas bien sûr.

Je ne voulais pas qu'il se sente obligé, mais maintenant qu'il avait commencé, ma soif d'en savoir plus sur lui était encore plus grande. Ce n'était pas de la curiosité, juste de l'intérêt. Et un intérêt croissant.

Il semblait perdu, comme si le fait qu'on s'intéresse à lui était incroyable. J'avais bien compris que Charlie avait du mal à se confier, à se lier, même, mais j'avais tellement besoin de le connaître!

"S'il te plait, s'il te plait"

Voyait-il ma supplication? Non, son esprit fuyait déjà, aussi perdu que lui.
Il leva les yeux et je compris que je n'aurais pas réponse. Regarder le plafond n'était pas le meilleur moyen de voir en soi.

- Je t'ennuierai.

Et le pire, c'est qu'il le pensait. ça se voyait, dans son ton, dans son expression. S'il savait à quel point il se trompait! J'avais envie de le secouer, de lui expliquer qu'il était intéressant, qu'il voit un peu l'impact qu'il avait sur les gens. J'étais sûre de ne pas être la seule à voir en lui plus loin que le serveur serviable. Il y avait tellement plus, qui allait au delà de son sourire et de sa voix. Au delà même de sa gentillesse et de sa générosité. Il me fascinait, le découvrir était un réel plaisir.
J'avais envie de lui dire tout ça. Mais je me retins. Je lui avais dit qu'il n'était pas obligé, qu'il ne devait le faire que si ça ne le dérangeait pas. Je ne reviendrais pas sur ma parole, mais la déception restait grande. Elle du d'ailleurs être visible sur mon visage, car il déclara :

- Okay. Quelle partie de moi ?

Je ne pus retenir un sourire. Même si au fond, j'avais l'impression qu'il faisait ça par pitié pour la déception qui avait du filtrer dans mon regard, j'étais contente. Il avait à moitié accepté.
A moitié, parce que peut-être ne jouerait-il pas le jeu et ferait comme moi. Non, Charlie était mystérieux, mais certainement pas aussi tordu que moi. Du moins, s'il l'était, il ne pouvait pas l'être de la même manière.

- La partie qui se cache, s'il te plait. Répondis-je avec un regard d'excuse.

J'étais réellement désolée d'avoir besoin de connaitre cette partie là. Mais en même temps, jusqu'à maintenant, quelle partie n'avait-il pas caché? En dehors de son anecdote enfantine, s'entend.