Contre toute attente, la voilà qui s'inquiète pour moi. Elle attrape mes mains, vérifie qu'aucune trace de sang ne s'y est répandue. Puis, elle semble enfin prendre conscience que je suis là. Elle me lâche, brusquement décontenancée. Puis, pendant quelques secondes, un silence bizarre s'installe dans la pièce. On n’ose pas vraiment se regarder. Moi, j’ai peur qu’elle surprenne mon émotion, les effets de sa main contre la mienne. Effet que je ne contrôle pas. Que je voudrais faire disparaître. Mais, inutile d’insister, cette encre là n’est pas effaçable. Je lève finalement les yeux vers Ashley tandis qu’elle s’affaire déjà autour de ses assiettes et trouve une contenance dans une phrase toute faite. Oublions. Sauf que pour oublier, il aurait fallu qu’elle aille ailleurs. Vas-t-en, recule. Elle est trop près de moi. Beaucoup trop. C’en est malsain de rester ainsi, sans bouger, à se regarder dans le blanc des yeux. Ses yeux, d’ailleurs. Ils sont beaux là, maintenant. Emplis de fierté, de peur. De défi, aussi. Est-ce que j’aurais les couilles de le faire ? Bien sûr, la question n’est pas là. Ce serait plutôt, aurais-je les couilles de ne pas le faire ? Mais mon esprit s’embrase, je réfléchis trop. Je prends trop de temps. Quelques secondes de plus et ce sera trop tard. Foutu. Pour toujours ? Je l’ignore. Mais, elle est là. Maintenant, elle est là. Moi aussi, coincé dans cette cuisine aux rideaux tirés. Coincés dans une proximité enivrante et effrayante à la fois. Une mèche retombe sur ses joues, elle ne semble pas la voir. Alors, je la remets doucement derrière son oreille, de ma main droite. Ses yeux restent fixés sur moi. Elle me teste. Je souris. Si c’est ce qu’elle veut. Lentement, j’approche mon visage du sien. Je sens bientôt son nez contre le mien, son souffle sur sa peau et sa malice plus près de moi que jamais. Nos lèvres se frôlent et la douceur dont je faisais preuve s’éclipse aussitôt. J’en veux encore. Du goût de ses lèvres, j’en redemande. Tant pis pour ce qu’elle pensera, j’y réfléchirai plus tard. Pour le moment, je ne veux qu’elle. Que moi. Que son odeur s’agrippant à ma bouche. Que ça soit fort, passionné. Sauvage ..

Alors que ses lèvres glissent sur les miens, je surprends une sensation d’ivresse me parcourir l’échine. Un sentiment inconnu qui se manifeste à travers une vague tiède s’étendant tout du long de ma peau. Et une sacrée chair de poule qui s’en suit. La sensation est agréable, bien que loin d’être familière. Mais bientôt, la tendresse ne me suffit plus. Je voudrais ne faire qu’un avec elle. Là, maintenant, tout de suite.

Soudain, un souffle entre nos lèvres. Elle se détache, recule, baisse les yeux. Tout s’arrête. J’exhale, ne comprends pas très bien. Cet échange m’a secoué et son arrêt brutal bouleversé. Trente secondes plus tôt, nos lèvres se scellaient. Là, plus rien. Nous avons beau reculer, nous semblons encore trop près de l’autre. Ridicule. Notre moment est fini. Pourquoi ? Je ne sais plus vraiment la raison pour laquelle je suis venu, au début. Pourquoi suis-je resté ? Et ce baiser, que voulait-il dire ? Mes idées se mélangent, je ne sais plus que penser. Et la voilà, enfin, qui parle. Qui, peut-être, va mettre des mots sur ses actes.

Les mots dits, je les regrette immédiatement. J’aurais presque envie de lui dire que, non, ce n’est pas vrai. Non, elle n’est pas comme les autres. Mais si, elle est comme les autres. Hein ? Elle est blessée, je le vois. Pardon, pardon. Mais, arrêtes. Retournes-toi, regardes-moi. Je fixe sa nuque. Dis-moi que tu ne m’en veux pas.

Mais de toute façon, c’est elle. Elle qui a commencé. Qui a tout arrêté. Elle qui a déclenché la tempête. Ou peut-être est-ce moi ? En l’embrassant .. Trop d’idées. Dans trop de sens différents. Arrêtez de tourner. Stop, stop. Laissez mes mots en paix.

Elle se retourne enfin, son visage devenu blanc. Blême, froid.

Je l’observe et attend. Parce qu’elle plaisante, bien sûr. Hein, tu plaisantes, poupée ? Sa phrase me fait mal. Alors, voilà où on en est réduits. C’est con, la vie. Un mot de travers, un geste qu’on n’aurait pas dû faire. Et tout se fout en l’air. C’est con, putain.

Tout se meurt, comme si rien n’avait jamais existé. A cet instant précis, on jurerait qu’elle m’a toujours haï. Et pourtant..Quelques minutes en arrières. Des lèvres qui se touchent pour la première fois. Des frissons plein la peau. Un baiser passionné. Et brusque retour à la réalité comme cadeau. Merci, au revoir. Le rideau tombe, le spectacle est terminé. Rentrez bien.

Furieuse, sûrement, elle rougit. Et ce que je la trouve belle, ainsi. Terriblement belle. Elle ne cesse d’attraper ses cheveux pour les rouler derrière son cou. Nerveuse, anxieuse. Moi, je ne bouge pas. Elle me vire, qu’est-ce que ça veut dire ? La reverrai-je ?

Aïe. D’accord, j’avoue. Ça fait mal. Amour propre, caches-toi. Tu n’es plus de ce monde. Vite, quelque chose à répondre. N’importe quoi. Histoire de ne pas la laisser me dégager.

Bien sûr que c’est ça qui la rend spéciale. Imbécile. Elle te mène du bout du nez. Ce con, ! Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Moi, d’habitude si désinvolte avec les femmes. Arrêt sur image. Qu’a-t-elle de plus ? Ah oui, elle vient de le dire. Elle me dit non.

Elle me balance une phrase à la gueule, mais je n'écoute plus. La vérité, c'est que je m'en fous. Tout ce que je veux, c'est comprendre. Comprendre cet effet qu'elle a sur moi, cette emprise. Merde. Elle a pas le droit de faire ça. Elle s'en va, je ne la regarde même pas. Je m'accroche à la table derrière moi. Je m'accroche pour ne pas sombrer. Je ne veux pas qu'elle me plaise, je ne veux pas la vouloir. Je ne veux pas qu'elle soit différente. Je ne veux pas qu'elle compte. Parce que la suite logique serait qu'elle partirait. Comme tous les autres. Si je m'attache à elle, elle finira par partir. De toute façon, je ne veux pas d'elle. N'est-ce pas ? Je ne veux pas d'elle et de ces putains de sourires qui irradient la pièce. De son rire qui a le même chant que l'océan. Je n'en veux pas. Ce que je veux, c'est coucher avec les femmes qui s'offrent à moi sans poser de questions. Comme d'habitude. Qu'est-ce qu'elle a, elle, avec toutes ses questions ? Qu'est-ce qu'elle veut ? Moi, je ne veux pas d'elle. A force de le répéter, je finirais peut-être par y croire. Je vois ses yeux furieux me dévisageant, je relève la tête. Elle est partie. J'ai mal au coeur. Quel coeur ? Mes parents en ont gardé la majeure partie dans leur tombe, Jason a emporté le reste. Quel coeur ? Je ris jaune. Toutes ces années, j'avais pourtant réussi à sauvergarder ma liberté, mon indépendance. Des femmes, oui. Mais jamais la même deux soirs de suite. Et puis, l'autre rayon de soleil se pointe et fout tout par terre. Tout est à recommencer. Putain. Elle peut pas aller répandre sa lumière ailleurs, non ? Qu'est-ce qu'elle veut de moi, merde ?

Je ne prends même pas le temps de respirer et monte les étages quatre à quatre, crie son nom à tue-tête. Finalement, je la trouve. Penchée au-dessus de la machine. Ne pas s'arrêter, ne pas réfléchir. Parce que si je commence à réfléchir, je signe ma perte. Son odeur, ses cheveux étalés dans son dos. Ne pas réfléchir. Putain. Alors, je ne réfléchis pas.

Qu'est-ce que tu veux, bon sang ?! Je ressors de la pièce, je ne veux pas de sa réponse. je ne veux pas la voir ne pas comprendre. Je veux juste qu'elle me dise ce qu'elle veut. Et en même temps, je m'y refuse. Dis-moi de partir et je ne reviendrais jamais. Mais ne me dis pas de te quitter. S'il te plaît.

- Parce que c'est de ma faute, hein ! Tu crois, tu crois .. Je m'essoufle. Je comprends rien, d'accord. C'est pas normal, ça. Ce ... Truc, là. Entre nous. Je me radoucis.