Love in New York
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 Shanya & Melitta ─ Innocence & Instinct

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MessageSujet: Shanya & Melitta ─ Innocence & Instinct   Shanya & Melitta ─ Innocence & Instinct Icon_minitime124.06.12 0:10


                   Leurs cris bourdonnent dans mes tympans. Ils ne m’insultent plus moi, mais ils se maudissent entre eux, se bousculent, pressés de se détester et de retourner à une vie sans inconnus. Leur trafic m’étourdit, j’en ai des fièvres aux sens, rien de ce pour quoi ils hurlent n’a d’importance. Ils ne s’écoutent pas, se regardent à peine. Ils parlent aux absents, enfoncent des bouchons dans leurs oreilles qui n’entendent plus rien de ce monde. Leur propre race leur fait peur, ils se dominent constamment et marchent tous dans la terreur des autres et du temps.

                   Il m’a appris un mot par jour. Les mots me manquent. J’aimerais savoir dire les sentiments que tous ces gens ressentent. Celui qu’on voit dans leurs yeux quand ils sont seuls et crient au secours, réclamant un geste, un rien, un prétexte pour crever la solitude qui les ronge de son calme effrayant. Celui des enfants qu’on enlève. Celui des parents qui les perdent. Celui qu’on sent dans leur voix quand ils disent « J’ai pas le temps. » avant de courir se cacher dans une tour pour le perdre, justement. Celui qui fait qu’ils se réfugient dans un bar le soir pour tuer ce temps qu’ils n’ont pas… J’aimerais savoir comment il aurait appelé ces émotions-là.

                   Ils ont mis des rideaux de fer sur leurs ponts. Il faut grimper au métal pour approcher du bord, l’agripper des pieds et pouvoir marcher enfin sur sa rampe rouillée. J’aurais du quitter mes chaussures, pour sentir sa peinture sous ma peau et puis me laisser décolorer. Je serais devenue un bout de la machine crevée qu’ils ont élevé, j’aurais pris un peu de la couleur qui aurait du être la mienne, ternie de douleur dans l’eau qui gronde et j’aurais pu prétendre être ce pont qui relie les hommes en se déguisant sous les rouillures qui le rendent sale et immense d’être seul entre deux de leurs cirques.

                   Certains me regardent, mais la plupart prétend ne pas l’avoir fait. Je m’assieds, mes talons se balançant contre la rambarde que l’un d’eux a dessinée. Qu’un autre a fabriquée. Qu’un troisième a posée là et qu’un autre a repeinte quelques fois. Partout, le travail des hommes les relie les uns aux autres mais ils ne le savent pas et ils piétinent leurs œuvres, les appelant « décor ».

                   Les hommes sont étranges. Ils ont du temps, mais ont besoin d'anges. Quand ils ont de l'argent, il le cache de leur vue dans une banque. Ils ne se font pas confiance, ils sont... j'oublie. Il m’a appris un mot par jour, et les mots me manquent.
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MessageSujet: Re: Shanya & Melitta ─ Innocence & Instinct   Shanya & Melitta ─ Innocence & Instinct Icon_minitime128.06.12 22:51

J'traine des godasses sur le macadam parce j'regarde pas où je fous les pieds. Ca fait un bail que j'me suis pas juste promenée, je réalise. C'est un peu comme si... Comme si je devenais New Yorkaise, en fait, comme si je n'avais plus le temps de rien. Le temps, le temps, le temps. Le temps se prend, putain, et c'est exactement ce que j'ai décidé de faire, aujourd'hui. Pas de voiture, pas porte-feuille et surtout pas de montre. J'ai juste ma carte d'identité dans ma poche au cas où je-sais-pas-quoi, et les clefs de chez moi, ça peut servir. Je regarde autour de moi. Les visages, les mines fermées, les voitures, les immeubles, les clodos, leurs chiens, qui mine de rien, il faut l'avouer, sont quand même dégueu. Du coup, je pense au chien de Natalie. J'me demande dans un sourire s'il va adopter Shane. Shane adore les animaux, mais ils ne sont pas nombreux à le lui rendre. Blackfire n'aimait pas qu'il s'approche, au début. Il a fallu faire un véritable travail progressif, pour qu'il ait le droit de s'en occuper quand je ne pouvais pas. Même nos cochons faisaient des mini crises cardiaques quand il approchait. Mais il faut quand même dire qu'il avait balancé un pétard dans leur boue, aussi. Il faut pas se leurrer, ça aide pas. Je doute que Shane fasse quoi que ce soit au chien de Natalie, mais il est capable de lui marcher sur la queue sans faire gaffe, je suis sûre. Pauvre chien.

C'est bizarre, comme ville, New York. Les gens vivent les uns sur les autres, mais ne se connaissent même pas. Putain, au Texas, je connaissais tous mes voisins, alors que le plus proche vivait de l'autre côté de la colline, à 1km. Ici, j'ai essayé de faire connaissance avec mes voisins, mais entre l'ex-taulard dealer récidiviste, attifés comme s'il avait piqué les fringues de l'incroyable Hulk, avec les groles qui ressemblent à des bateaux,la casquette qui protège pas du soleil, pas enfoncée et de travers et ses "Yo" qu'il balance à tire-larigot, la vieille mémé sourde qui vit seule mais qui trouve le moyen de s'engueuler avec le vent (elle, j'essaie de l'inviter souvent, ses enfants viennent jamais la voir), le couple de latinos qui parlent pas anglais et qui passent leur temps à se bécoter et le geek qui passe son temps à me demander si j'ai besoin de quelque chose juste pour passer son temps à regarder mon cul quand j'ai le dos tourné, j'ai eu du mal à me faire des potes. Les autres habitants de mon immeuble regarde tous les jeunes comme s'ils allaient leur voler leur rein ou quoi et veulent même pas me dire "bonjour". Et encore quand je ramène Nathan, c'est pire. C'est limite s'ils appellent pas les flics parce qu'on les a regardé dans l'allée. Bande de tarés.

Bon, faut avouer qu'ils ont leur raisons, mais oh, faut pas déconner. Ok, je suis une ex-clocharde, ok, je suis fringuée comme une belliqueuse hippie anarchiste pro-révolutionnaire adulant Che Guevara... Mais j'ai rien à voir avec ça. J'mets juste les vêtements que je trouve. J'aime pas faire les magasins. J'porte quasi que de la récup', des trucs trouvés, parfois volés dans les grandes surfaces. Ce que je préfère porter, ce sont les chemises et les gilets d'Ethan. Parfois ses tee-shirts avec des trucs dessus (groupes de rock, dessins tribaux et autre). Ils me vont trop grands, et donnent parfois l'impression que je suis échappée d'un clip de Kurt Cobain. M'enfin le problème n'est pas là. On vit dans le quartier le plus pauvre de New York. Ces gens n'ont rien que je ne puisse pas me payer moi-même.

Merde, je ne sais pas du tout où je suis. Je suis toujours dans New York, hein ? J'interpelle un passant, qui me passe devant comme si j'existais pas.


- Putain, je suis un fantôme, c'est ça ? Je suis morte pendant que je marchais et je l'ai pas remarqué ? A moins que vous soyez juste un connard. CONNARD.

Il ne s'est même pas retourné.

Il y a un pont, en face de moi, je décide de m'y engager, de toute façon, au point où j'en suis. J' arrête quand même un autre passant pour qu'il me dise où je suis, mais il pousse discrètement le revers de sa veste et me fait une grimace d'excuse. Il a un flingue, et il est pressé. Je crois que c'est un flic qui suit incognito le connard, en fait. Ok, ok, tout s'explique. J'ouvre pas la bouche, pour une fois, je le laisse faire son boulot. Pour une fois, aussi. Je n'aime pas les flics, mais c'est surtout parce que ceux de chez moi aimaient bien me ramener chez moi avant que j'ai fini de décuver, histoire de réveiller ma famille pour lui rappeler qu'une mineure bourrée et traînant avec ses amis au milieu de la nuit, ça ne se faisait pas. Et puis j'aime pas jouer au loup, avec eux.

Je cherche quelqu'un qui pourrait m'aider lorsque soudain, je vois une fille qui détonne. Elle n'est pas où elle doit être, pas comme il faut être, et du coup, je la trouve sympathique. Mais je n'aime pas beaucoup l'endroit où elle se trouve. Si elle tombe... Elle est traître, cette rivière. Elle parait calme, comme ça, mais elle capable d'emporter ce qu'il y a de meilleur sur cette Terre. Et si c'est la volonté de cette fille, j'me dit que j'peux quand même faire quelque chose, pour elle. Lui donner des raisons de ne pas le faire.

- Tu sais que si tu sautes dans l'eau, tu vas finir toute bleue ? Si tu veux vraiment te déguiser en Schtroumpf, je connais un moyen moins fatal. Ca s'appelle le Body Paint. C'est plus cool, parce qu'au moins, tu peux voir le résultat.

Je lui dis tout ça avec un sourire.

- J'suis perdue, tu sais où on est ? Je voulais juste me promener un peu, cette ville est impossible. Je suis sûre que Lexie la trouve "insensée", j'en sais rien, je ne lui ai jamais demandé. Mais ça me turlupine, cette manie que les gens ont de toujours vouloir aller plus vite, sans vouloir prendre le temps de juste regarder. La preuve, toi, t'es au bord d'un pont, et personne ne s'est arrêté pour te demander de ne pas sauter. A part le mec qui filme, là bas, mais je crois qu'il va finir par se barrer si tu ne sautes pas dans le timing qu'il s'est fixé. C'est pour ça que j'ai décidé de me promener, tu comprends ? J'veux pas finir comme eux.

Je m'accoude sur son perchoir. Elle a l'air d'avoir le temps de me répondre, elle.
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MessageSujet: Re: Shanya & Melitta ─ Innocence & Instinct   Shanya & Melitta ─ Innocence & Instinct Icon_minitime105.07.12 23:25


                   Les tumultes de l’eau sous mes pieds emballent l’air qui me gifle comme une ingrate sur son perchoir doré. Je laisse mes doigts lire la peau couturée de mes poignets, parcourant les lignes qui suivent mes veines avec une précision étrange. Mon sang rouille dans mon corps qui le maintient depuis longtemps et j’ai le sentiment qu’il me faut l’ouvrir encore de temps en temps pour vivre un peu plus forte. La terre sans mes offrandes au sable se retournera contre moi.

                   Ils m’ont appris des mensonges qui se mélangent au reste et font de ma tête un recueil de serments souillés, de promesses amputées par la haine et quelques crevures parfumées pour endormir mes peines. Lui, ne me dit rien sinon des vérités, il enseigne à mes lèvres la virginité des siennes qui sont ignorantes des futilités du boniment. Mais depuis qu’il ne dort plus près de moi, toutes mes leçons s’épousent entre elles, profitant du mariage pour se dépecer en silence, réarrangeant mon crâne dans un carnage intense. Une douleur me mange les pensées sans toucher mes os, sans effleurer ma peau, sans casser mes dents. J’ai mal à n’y rien comprendre. Quelque chose me manque, il le sent. Je le sais.

                   Il m’a dit de ne jamais perdre mon innocence. Mais je ne sais plus ce que j’en ai fait.

                  « Tu sais que si tu sautes dans l'eau, tu vas finir toute bleue ? »
                  Une jeune femme me sourit. Elle est belle de me dire un mot que je n’avais jamais entendu. Je bute dessus, le répétant une fois entre mes lèvres avant de le perdre. Ses phrases filent vite et son sourire reste là. J’attends qu’elle dise "please" mais elle ne le dit pas.

                  « J'suis perdue, tu sais où on est ? »
                  Je n’arrive pas à lui répondre, elle parle à ma place et j’ai encore manqué une phrase, en regardant ses lèvres, me demandant si elles non plus n’aiment pas le goût de celles qui mentent. Je souffle « non. » parce que j’aime qu’on réponde à mes questions. Et il me dit qu’il me faut traiter le monde comme j’aimerais qu’il prenne soin de moi. Si nous étions tous réellement égaux, il serait un bien plus bel endroit.

                  « Mais ça me turlupine, cette manie que les gens ont de toujours vouloir aller plus vite, sans vouloir prendre le temps de juste regarder. La preuve, toi, t'es au bord d'un pont, et personne ne s'est arrêté pour te demander de ne pas sauter. A part le mec qui filme, là bas ─ »
                  Je suis son regard qui mène à un homme et sa caméra. Une rage instinctive me mord les tripes, griffant les racines de mes plus violentes afflictions. Ils me filmaient aussi, au fond de la fosse. Ceux qui tenaient les caméras ne criaient pas, soucieux du rendu de leurs images et j’ai mal, chaque fois qu’elles me visent à l’envers, à tous les endroits. Chaque film depuis est un écho sans visage de l’impudeur qu’ont pris les vices de leurs objectifs visant ma peau, ce carnage.

                  J’ai raté la fin de ses mots, je le sais parce qu’elle se tait. Ses bras se posent sur la barrière qu’un homme a dessiné, qu’un autre a posé là et qu’un troisième entretient quand il y pense. Elle a des cicatrices elle aussi, qui ont des âges et des histoires différentes, plus ou moins grandes. J’en compte trois, que je ne nomme pas. Ils mettent des noms partout, ils en donnent à tout le monde, mais pas moi. J’aimerais qu’on puisse au moins saigner tranquillement, à défaut d’être libérées du reste.

                  « Je reviens. »
                  Je lui promets des yeux, comme il le fait quand il murmure.

                  « J’en ai pour trente secondes. Peut-être trente-six. Attends-moi s’il te plait. »
                  Je lui souris "please". Il me rassure toujours en me disant pour combien de temps il me laisse, même s’il s’est trompé la dernière fois. Ce n’est pas grave, je lui donnerai un baiser quand il reviendra. Je vois mes tâches de rousseur dans les prunelles de ses yeux et je l’entends qui me chante « Frickles, frickles, love. »

                  Je me lève, courant sur la rambarde habituée à n’être touchée que de paumes, je le sens. La peinture écaillée chatouille ma peau nue. « I giggle, giggle, love. » Ils sont plusieurs à me regarder et je comprends grâce à la belle femme et ses mots nouveaux qu’ils ont peur pour moi ou qu’ils sont curieux de me voir tomber. Les ponts ne sont pas faits pour prendre les vies, ils les relient. Déjà quatre secondes. Mes mains s’accrochent à la ferraille qui se tend partout, ressemblant aux dunes qui griffent mes veines. Je retrouve le sol dans un bond et fais face à celui qui filme. Celui qui regarde. Celui qui faute. Je ne l’avais jamais vu et une aiguille s’enlève de mon cœur qui ne l’avait pas sentie entrer là.

                  « Je ne viendrai pas tenir une caméra lorsque des pervers comme vous viendront violer votre cadavre rongé par les vers. C’est pour ça que vous ne me filmerez pas non plus sans ma permission. »
                  Ses dents sur sa lèvre entament le mot qui commence par un F. Je le hais, c’est celui qu’ils préfèrent. D’une main, je pince l’écran de son engin et le craque, rendue forte par les déviances des hommes. Il me laisse prendre l’appareil sans rien dire quand je compte vingt-six. Je lui laisse l’écran et jette le reste dans l’eau où il pensait me voir tomber. Et maintenant, qui est-ce qui est baisé ?

                  Une femme le regarde partir à reculons et je lui souris une question. Je marche avec ma réponse, me la répétant pour ne pas l’oublier. Mes pieds retrouvent le chemin jusqu’à la jeune femme que j’ai laissé. Trente-cinq. Cette fois je ne monte nulle part, parce qu’il conseille d’éviter de me faire remarquer. Il a un rire dans les yeux, quand il s'entend le dire. La rambarde est froide sous la peau de mes doigts aussi. J’avais promis que je reviendrais. Je me vois dans ses yeux, ils sont encore plus grands vus de près.

                  « Je sais où on est. Le Pont de Brooklyn, elle m’a dit. On aurait pu le deviner, on est à Brooklyn... et c’est un pont. Ils ne sont pas originaux quand il s’agit de trouver des noms. Et pourtant, ils en mettent partout. Ils en donnent à tout le monde. »
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