Aujourd'hui est un jour comme les autres. Dénué d'envie, d'action et de sursis.
Je n'ai pas ouvert le café, gageant qu'un autre s'en occupera à ma place.
Peut-être attends-je d'être lourdé par mon patron, comme par les autres.
Mais le feu qui se balade entre mes mains n'attise pas encore ce danger.

Dépourvu d'elle, de ses choses et des miennes, j'ai choisi d'abandonner mes vêtements.
La piscine, ce matin. Parce qu'elle est vide quand le soleil ne flambe pas avec eux.
Vide de sens, de vie, de bruits et du reste. Rien sinon l'eau plane empestant la chimie.
De la flotte préfabriquée qui n'a d'eau que le nom. Je suis seul et choisis de me noyer.

Mais, parce que je n'aurais pas le courage de laisser un élément me bouffer
je me contente de rester planter là, sale et découragé. Putain, elle m'a quitté.

Les yeux au fond de mon mouroir, je mesure l'ampleur du sentiment qui me dévore.
J'ai peur à en mourir sans que la panique ne me tue pourtant. Survivant.
Brisé par la violence de mon chagrin, je sens mon cœur flirtant avec mes lèvres.
Je veux gerber mon âme, vomir tout ce qui me fait exister malgré moi.
Que l'on m'offre un trou suffisamment grand pour m'y laisser mourir un jour.

Planté entre la grandeur de mon désespoir halluciné et mon envie de ne
plus rien ressentir jamais, je liste les choix que m'offrent l'adversité.

1- Me battre.
2- Fuir.
3- Ne rien faire.

Alors le fils prodigue demandera la pire des morts possibles. Mais aussi la plus rapide. Non, pas une agonie à l'hôpital ... Je refuse de faire comme ma mère. De la vie, je ne veux pas me rappeler de toute une vie d'existence, non, je demande juste à voir une dernière fois la mer. Bordel, je veux voir la mer une dernière fois. Qu'est ce qu'elle veut voir ma maman ? Avant de dire au revoir à tout le monde ? C'est surement ça, que j'aurais du lui dire, aujourd'hui, au lieu de m'assoir, et d'écouter son souffle beaucoup trop affaibli. Ouais, j'aurais du lui parler, au lieu de me contenter de pleurer. Quelle faiblesse, putain.

Guidé par mon corps seul, je n'ai aucune idée d'où je vais. Je n'ai pas de voiture, non, je n'ai qu'un bateau ... Un bateau qui ne bougera plus jamais. J'ai amarré à New-York pour toujours, c'est ça, en fait, la simple réalité. Bloqué. Bloqué par des responsabilités d'être le fils ainé d'une famille qui tombe en ruine. C'est con. La vie, c'est con, je veux dire.

Je crois que je voulais aller voir mon frère, au début, mais non, je n’ai pas envie de faire semblant. Pas encore, pas pour l’instant. Je veux arrêter de sourire, parce qu’il faut sourire. Quand on y réfléchie, je crois que je ne sais pas ce que je veux.

Je souhaite que ma mère meure. Voila, c’est aussi simple que ça. Je souhaite que le monde change et que l’euthanasie soit autorisée. Je souhaite qu’ils délivrent celle qui m’a enfantée de tous ces douleurs qui l’assaillent. En guerre contre son propre organisme. Je souhaite la voir mourir avec un sourire aux lèvres, plutôt que de la voir dépérir avec les larmes aux yeux. Je souhaite changer l’existence humaine, pour qu’on nous accorde cette liberté de penser et d’agir. Mais plus que tout je souhaite d’avoir ce courage … Celui d’exhausser le vœu que ma mère a prononcé hier … Je souhaite avoir le courage de pouvoir lui enlever la vie.

Mes genoux flanchent, et j’en perds l’équilibre, ma main se pose contre le mur le plus proche, et malgré moi, je crache tout ce que j’avais dans mon estomac sur le sol. Putain … Je ferme les yeux un instant, essaie de comprendre réellement ce qu’elle m’a demandé de faire. C’est un choix. Putain … La voir vivre et souffrir, ou moi, lui donner la mort.

J’entre dans le premier bâtiment que je vois ouvert. L’odeur de chlore me surprend. Je suis dans cet endroit, celui de la pale imitation de ma mer tant choyée. J’avance, habillé encore, et la déconnexion dont je fais preuve me fait encore plus peur que d’habitude. Ils le comprendront un jour, à quel point, leur Jason est fou.

Je n’ai pas dormi de la nuit, je crois, et l’eau me ramène à la réalité, je suis entré à l’intérieur sans même m’en rendre compte. Je regarde autours de moi, et un homme se tient dans l’eau, aussi déconnecté que moi. Lequel de nous deux à la pire des vies … ? La question se pose, mais la réponse restera silencieuse.

J'ai peur d'une maladie tremblante, secouant âme et chagrin. Je n'attends rien.
Ma tête tangue si bien que j'en ai l'impression de flotter. Le sol aussi m'a oublié.
Je ne trouve aucune limite entre le ciel et son horizon, me perds dans le gris de mon sursis.

J'ai froid de me savoir seul et je pleurerais de me savoir si résolu à crever.
Maman, si tu savais ce qu'est devenu ton bambin, tu pleurerais tout ce que j'enfouis.
Il meurt d'amour et il en a honte, si tu voyais... Mais le deuil n'aura pas aidé, tu sais.
Voilà des années qu'il part en miettes parce qu'il n'arrive pas à vous retrouver, papa et toi.
Et Dieu sait qu'il a crié, fouillé, cassé, saccagé, frappé, menti, volé... pour vous raviver.
Mais rien à faire, il n'y parvient pas alors peut-être que voilà, aujourd'hui, il baisse les bras.

Parce qu'il en a marre d'attendre que vous reveniez, fatigué d'espérer te revoir sourire encore.
Il est las d'avoir trop pleuré et sent que le cimetière ne devrait pas être son second foyer.
Mais il sent par-dessus tout qu'il fait défaut à tout ce que vous étiez, vous trahit après la vie.
Il gaspille le temps qu'il vous a volé en vous pleurant alors que tu prierais pour le voir aimer.
En vérité, il sait qu'à votre mort, vous avez pris beaucoup de lui, et se sent bien trop petit.
Alors maintenant, il a de nouveau treize ans, ses parents l'attendent quelque part, il ne sait pas
encore vraiment à quel endroit, et sa grand-mère vient à son tour de s'envoler. Qu'est-ce qu'il fait ?

Il fixe une eau moins glacée que lui et se demande si, en sautant, il vous verra défiler.
Envoie-moi une de tes ailes mamans, accélère ma montée, laisse-moi tout espérer.

Un bruit, soudain. Une porte, un claquement, un cri, un échos, la vie... tout simplement.
Je fous une énorme gifle à ma joue amaigrie, m'éloigne d'un bassin si peu profond.
Mes yeux rougis par la mort ou le chlore, au choix, se pose sur une silhouette, loin de moi.

Je marche à reculons puis cours dans la bonne direction, n'entends que l'écho de ma peau.
Arrivé près de l'ombre qui s'avère être un homme, j'évite de le regarder pour le croiser.
Mon épaule rencontre la sienne et nous fait nous retrouver face à face. Désolé.
Je justifie ma fuite, cherchant un quelconque prétexte à ma survis. Mon sursis.

- Ce truc c'est pas de la flotte.

Non, ce n'est pas là-dedans que je mourrai.

Ma mère doit mourir. Je le sais, comme une évidence perfide qui ronge les entrailles. Ma mère doit mourir, c'est tout ce dont je dois ma rappeler. Prendre mon courage à deux mains et dire que oui, ça y est, la chose doit se terminer. Il faut la tuer. Putain.

Et même l'eau n'arrange rien, trop d'odeurs de chlore surement. Elle est où l'eau de l'histoire ? Elle est où la morale ? Alors on accorde au monde de plagier l'eau de ma mer sacrée, et on ne lui accorde pas le pouvoir de tuer. Je ne comprendrais jamais, je n'y peux rien c'est comme ça, je ne comprends pas.

- Ce truc c'est pas de la flotte.

Je me tourne vers la voix de tout mon être. L'homme que je ne voyais plus est sorti de l'eau, et il me parle à moi. D'accord, j'assimile, et accepte cette conversation. C'est pas de la flotte, ouais, on est d'accord.

La flotte c'est celle que j'ai vu tout les matins en me levant pendant six ans. Six années ... Tu vois ? La mer me manque, comme me manque ma maman. Je suis un gosse perdu à qui on a arraché son rêve ... Bordel ... J'ai mal, tu vois. Réellement mal.

Je crève de l'intérieur, et pourtant, je n'en dirais rien. A personne, et surtout pas à un inconnu rencontré dans une piscine. Cet endroit où on imite l'eau. Sont fous, les gens. Je soupire, meurs encore, et je regarde réellement l'homme cette fois. Il a mal, lui aussi, n'est ce pas ? C'est quoi cette Terre où tous ces habitants souffrent ? Ca ne devrait pas être permi ça aussi. Injustices à répétitions, le monde fonce vers sa perdition.

- Putain ... Vous avez raison. Et plus même ... J'avoue que je ne sais pas ce que je fais ici ... Je lui dis en sortant à moitié de la piscine, je m'assoie sur son bord, les pieds dans l'eau, attendant un réponse de cet homme ... Enfin seulement s'il le souhaite

J'y si fort envie de crever, de jeter ma part à ceux qui s'entredévorent.
Verser mon sang qui pourrait devenir une eau rare parce que pleine de cicatrices.
Une mer de douleur et de vices. Avec chaque erreur pour vague, toujours la terreur.
Arracher le noir de mes yeux pour qu'il la colore, pour une fois devenir mort.

Je veux comme je n'ai jamais voulu, m'enivre l'esprit, je ne veux plus de cette vie.
Pour la première fois, je me dis que je n'ai pas mérité tout ça, que je n'ai rien mérité, putain !
Je chante un "pourquoi moi" brisé dans le ventre de sa sainte mère l'hallelujah.
Marre jusqu'à devenir cette haine qui me rend fou, m'ensorcèle, me joue des tours.
Et puis toi papa, tu sais quoi ? Tu n'as qu'à leur dire qu'il te faut partir.
Tu sais faire ça toi, enjoliver la vérité, la colorer pour qu'elle cesse d'effrayer.
Tu es le meilleur, tu peux tout avoir, d'un rire. Obtient n'importe quoi avec un sourire.

Papa, allez quoi. Va le voir et dis-lui, toi. Qu'il te faut redescendre avec moi, juste une fois.
Que tu n'arrives pas à arracher tes ailes pour me les prêter, qu'une vie dépend de toi tout entier.
Dis-lui, pour une fois, que j'ai besoin, besoin de ta voix. Rien qu'un instant, je te jure.
Souris-toi un chemin à travers les grilles, époustoufle tes nuages, fais rire les astres.
Je t'en supplie, j'ai si mal, si froid. Je suis en train de perdre mon cœur je crois.
Si ça continue je vais l'arracher hors de moi. C'est beaucoup trop, même pour moi.

Pose tes grandes mains sur ses épaules, parle-lui de son fils, demande-lui un service.
Dis-lui que le tien se meure, je t'en prie aide-moi à faire taire cette immonde douleur.
Ça me brule papa, j'en peux plus c'est trop dur, ça ne s'arrête pas. Viens là, je te jure.
Je croyais que plus jamais je souffrirais comme quand vous m'avez laissé à mémé.
Tu te souviens, hein ? Rends-moi mon ventre s'il te plait, vide mon sang, il faut m'aider.

J'ai pas le courage de le faire tout seul, j'ai trop pleuré vos vies pour prendre la mienne.
J'y arriverai pas, c'est plus fort que moi. Enlevez-moi la douleur, envoyez-moi un tueur.
Un comme moi, un taulard, ou bien un qui y ira. Allez quoi, y en a tant qui le méritent pas.
Tu me connais, je suis pas capable de faire le mal, c'est ce que tu disais toujours à maman.
Elle te disait que j'étais fait de la même matière que les rêves, et toi tu répondais...
Tu lui répondais que les rêves ne s'arrêtent jamais, que même le jour, ils sont là et que c'était
pareil pour moi. Je sais, j'ai tout entendu, j'étais là. Tu disais que j'irai toujours droit devant moi.

Mais cette fois j'peux plus, je suis foutu, c'est pour de vrai, je le sais. Descends, descends là !

- Putain ... Vous avez raison. J'avoue que je ne sais pas ce que je fais ici ...

Tu l'as entendu toi aussi ? Sa voix, ça vient de moi ou elle ressemble à celle d'autrefois ?
Je le vois sans le voir, j'en ai marre. Même ma vue, j'ai pas le droit de l'avoir toute à moi.
Parce que l'autre moitié est à toi c'est ça ? Tu le regardes, là, par dessus mes fautes.
Est-ce que lui m'en empêcherait ? Est-ce qu'il me récupérerai ? Me sauverai, si je saute ?

Et là, ça y est ? Tu lui as demandé ? Il t'a dit oui, dis-moi qu'il a dit oui.
Donne-moi une réponse, viens me prendre dans tes bras ? Pourquoi je suis là ?

- Pas pour se battre de toute évidence. La vie, c'était dans le quartier d'à côté.

Aussi déconnecté que moi, la vie n'est plus dans monde où même l'eau semble glacée. Comme mon sang et plus de souvenir d'un certain été où le ciel me narguait, sur un bateau où le monde entier me semblait beau.
L'odeur du chlore me monte au cerveau, je crois que je vais finir par partir en courant, histoire de me prendre une grosse baffe de la part du vent. Personne ne viendra m'aider ici, et je sais que je vais devoir finir par la débrancher, ma maman.

Le jeune homme ne parle pas, semble souffrir d'un mal que je ne connais pas. C'est son cœur, tu crois ? A-t-il une mère comme moi, une mère à laquelle il devra dire au revoir ? Pourrait-il comprendre comme mon âme d'enfant se meurt en même temps qu'elle ? Je soupire, expire, prouve a qui le veut que je suis toujours en train de survivre, puisque dans quelques jours, je ne sais pas comment je vais faire pour simplement vivre.

- Pas pour se battre de toute évidence. La vie, c'était dans le quartier d'à côté.

Le pire c'est que sa phrase me semble plus que vrai. Pourquoi je suis venu ici, si ce n'est pour espérer me noyer ? Le quartier d'à côté, c'est lequel déjà ? Il y a la mer, pas loin, vous croyez ? Je vous en supplie, que quelqu'un vienne m'aider, j'aimerais que ma mère embrasse mon front, et qu'elle murmure de sa voix calme ; Ne t'en fais pas, mon ange, tout ira bien.
Et quand tu ne seras plus là, maman, tout ira comment ?

- Pour qui votre cœur est-il en train de saigner ? j'ose lui demander.

Pour qui la vie mérite-t-elle d'être stoppée ? Je sais qu'on ne se connait pas plus que ça, c'est même carrément un inconnu pour moi, mais on dit que c'est aux inconnus qu'on arrive à parler le mieux. Dis moi qui tu pleures, et je t'expliquerais que ma mère va me laisser tout seul, dans ce monde que je ne connais plus depuis longtemps maintenant. Je ne suis pas fait pour être ici, là se trouve la vérité.