J'ai beau sourire, je m'en rends bien compte qu'il n'y a que mon esprit qui voyage. Mon corps, quant à lui, est ancré dans une réalité terne, monotone, que j'ai pourtant voulu comme ça. C'est moi qui ai toujours refusé de partir de New York, qui n'ai pas pu m'éloigner de ma famille de plus de 10 kilomètres. C'est moi, celle-là même qui demandait une indépendance devenue indispensable à sa survie, qui n'ai pas trouvé juste d'avoir le droit de m'envoler sans eux. C'est moi qui ai préféré couper mes ailes afin de ne jamais rejoindre Peter Pan. C'est moi qui ai besoin de mes racines pour exister. Parce que les enfants ne quittent pas la maison. Parce que l'oisillon veut voler de ses propres ailes, mais a peur de s'écraser. Et qui donc sera là pour le ramasser ? Alors mon sourire se mue en soupir, parce qu'ici, je n'ai personne à impressionner par ma bonne humeur.

Tout du moins, jusqu'à ce qu'un bel inconnu s'assoie sur mon banc. Mon sourire reprend ses droits sur mon visage, juste le temps de lui montrer que je ne lui en veut pas, de m'avoir pris une partie de mon banc, qui n'est pas le mien, justement. Mais il ne me remarque pas, abîmé dans des pensées surement trop grande pour moi. Je n'en suis pas déçue, aujourd'hui, je ne suis pas sociable. Je ne suis pas venue ici pour le simple plaisir d'inventer des histoires à des pauvres bougres sans réel intérêt. Je suis ici parce que je crois bien que Dean est parti. Juste quand j'ai compris que ce n'était pas ce que je voulais, quand j'ai finalement osé nous avouer à lui comme à moi que j'avais besoin de lui. Il m'a embrassée, m'a rejetée et est parti. Malgré son sms, il n'est jamais venu à la patinoire. Moi j'ai gardé son tee-shirt, que je mets à présent pour dormir et les débris de l'assiette qu'il a cassée, et je me complais dans le souvenir de notre baiser. Finalement, il a fait ce qui avait de mieux pour lui et moi. Après tout, je suis bien partie la première, de cette cuisine, non ?

Quel avenir pouvait-il bien avoir entre un gars comme lui et une fille comme moi ? Nos mondes étaient bien trop différents, nos esprits voyageaient dans des dimensions contraires. La réunification de nos univers n'étaient pas compatibles, j'aime penser que tout cela aurait créé un choc cosmique beaucoup trop important. Et puis, soyons honnête, qu'aurait-il bien pu me trouver ? Je m'en remettrai.

La voix est chaude, le ton badin. Pour un peu, cette phrase, je l'aurais manquée, alors qu'elle m'était adressée. Mais je ne sais plus écouter, quand je pense à Dean. J'aimerais qu'il recommence à occuper ma vie comme il occupe mes pensées, et cette volonté me coupe du reste de l'humanité. Je ne supporte pas l'abandon, même quand il est justifié. Savoir à quel point je suis insignifiante pour le reste de l'humanité me fait mal. Mais je l'ai dis, je m'en remettrai, pas vrai ?

Je regarde le ciel, n'y vois pas de nuage. Pourtant, moi aussi, j'aimerais qu'il pleuve. Je veux que le soleil arrête de me narguer de son rayonnement, et que le ciel revêtisse enfin le manteau de mes pensées. Qu'on soit lié, comme tout le monde se plait à le répéter. Ashley, le petit soleil qui a passé sa vie à repousser les nuages devant elle pour ne pas finir comme sa mère. Qui aurait cru qu'un seul homme créerait une tempête dans son coeur ?

Je penche la tête sur le côté, les yeux levés vers le ciel et les sourcils froncés. Ce qui est idiot, je trouve, c'est qu'il ne pleuve pas, au contraire. Et puis, si ma mer est trop calme, quelle histoire pourrais-je inventer ? Alors je regarde mon inconnu et lui souris, parce que je veux bien imaginer le ciel pleurer.