Monte.
Et je suis monté.
Parle.
J'aurais parlé.

La voiture est trop grande, trop belle.
Emblème de la richesse, je l'abîme.
La présence passive de Chuck, m'apaise.
J'aurais pu paniquer, tellement con...
Mon aversion pour le luxe est naturel.
Se sentir privilégié est humiliant, je ne pourrais pas.
Mais il le supporte, lui, et ce côte-là me fascine.
Je suis impressionné par l'aisance dont il fait preuve.
Il nage dans ses propres eaux, elles qui me noient.
Mais mon père m'a appris a nager, je survivrai.
Extérieur, intérieur et vitres noirs...
La ressemblance avec un cercueil est-elle voulue ?
L'air semble si loin de mes poumons dans l'habitacle...
Ma moto me manque. J'appelle une claque du vent.

Nous roulons, encore et encore. Le temps s'étire et se perd.
Je n'ai pas de questions, je cherche seulement des repères.
Aucune rue ne m'est connue, même la route est muette.
A croire qu'il n'y a pas de moteur dans ce genre d'engins.
Le voyage s'achève sans que se brise ma chimère aliénée.
J'entre visiblement dans un monde nouveau, intact.

_Le verre se prendra à l'intérieur, tu sais.

Surpris, je réponds au sourire de mon hôte en reprenant contact avec la réalité.
La bâtisse est gigantesque, les murs surélevés, les gongs même de la porte sont démesurés.
Je suis Chuck dans le silence impressionnant de son royaume que viennent troubler nos pas..
Tout me parait d'une propreté excessive dans cet univers inédit. Parce que je n'ai pas eu le temps de le souiller.

- Elle t'appartient ? je demande à propos de la demeure.

L'écho de ma voix est indénombrable, j'ai l'impression qu'il percute même le dos de Chuck.
Qu'on me dise seulement envers qui iront mes remords lorsque j'aurais sali les lieux par ma seule présence.
J'abime déjà l'or brut qui m'entoure de ma voix. Premier regret.

Un homme avec un semblant d'envergure nagerait dans ces eaux.
Preuve flagrante de mon manque total d'aisance, ou de personnalité.
Qui sait ? Je suis modulable, ce n'est plus un secret. Jouet de fortune.

N'importe quoi. Cette réponse ne vaut rien, je l'apprécie pour ça.
J'aimerais que tout soit d'une simplicité enfantine, le temps presse.
Pour la première fois depuis longtemps, je ressens l'urgence du présent.
Aucun besoin de compliquer quoi que ce soit, rien que le primordial.
Je profite de cet état que je devine passager pour cesser de me torturer.
Je saisis le verre que me tend Chuck, aucune métaphore à l'horizon.

Identifier le contenu de mon n'importe quoi n'est pas chose difficile.
Vodka. Mmh... problème. Je ne sais plus boire correctement. Ne l'ai jamais su.
Comment apprécie-t-on un grand cru ou une bonne coupe ? Aucune idée.
Et il en va de même maintenant, je n'apprécie plus l'alcool. Je gâche ce luxe.
L'alcool du pauvre a été mon ami, fut un temps. Je me suis lassé de ce faux frère.
Je n'ai pas envie de boire, cela dit. De l'eau... un verre d'eau aurait été parfait.
Mais on ne trouve pas de minéral dans ce genre de bar, n'est-ce pas ? Dommage.
J'ai envie d'eau désormais, aussi je profite du fait que Chuck me tourne le dos pour agir.
D'une traite, je déverse le contenu de mon verre directement au fond de ma gorge.
Je n'ai ni le temps de gouter, ni d'appréhender la brulure qu'il a disparu. Gâchis.
Du grand n'importe quoi.

Assis, Chuck me fait comprendre que je peux l'imiter, message reçu dans un sourire.
Je préfère mes jambes au confort de son trône pour l'instant. Elles me portent encore.
Peut-être le dois-je à ma bonne humeur passagère, mais je profite de mes jambes.
Je me rapproche néanmoins de mon hôte pour ne pas afficher de faux désintérêt.
D'un pas lent, j'arpente la pièce en renforçant mon sentiment de non-appartenance...

_Tu fais quoi dans la vie, Charlie ?

J'aime la façon dont il a lancé le prénom de mon père. Sans jugement.
Me retournant, j'examine les possibilités qu'offrent cette question.
Les réponses sont aussi nombreuses que diverses. Fidèles à ce que je suis.
Je ne suis pas adepte des faux-semblants aujourd'hui, ici personne ne me voit.
Qui sait ce que pensent les fantômes qui rodent derrière nos épaules, après tout ?

- Je remplis des verres, je souris en levant celui que je tiens en main, au Starbuck de la cinquième. Et, tous les week-end, je règle le son du micro en espérant y chanter à mon tour, tout en sachant que ça n'arrivera jamais. Alors disons que... disons que je remplis des verres.

Tant de sincérité dans la bouche d'un môme avare de paroles...
Je compte bien abimer mes étiquettes aujourd'hui, l'une après l'autre.
Pas de calcul, les jeux sont morts avec mon bien-être. Ce manoir me tue.

- Et toi, Chuck ?

J'ignore s'il ressent que je m'amuse à faire claquer son nom.
Juste retour des choses, je voulais entendre ce mot résonner.

Je ne sais comment manifester mon envie de fuir.
Pas Chuck, mais le concept de ce cadre brouillon.
Dire que je respirais en sortant de la basse-cour...

_J'écris au bâtiment de journalisme de Hudson Boulevard. Et tout les jours alors qu'on me demande des papiers sur des hommes grands, je me rends compte que je suis loin d'être comme eux. Alors disons que j'écris, par ce qu'il le faut bien.

Je souris en songeant au fait que je sais où le trouver, lorsqu'il travaille.
Le manque de pudeur de nos aveux mutuels me dérangerait presque.
J'ai toujours considéré les journalistes comme des fouille-merde, gênant.
Peut-être souhaite-t-il un conseil, parce qu'il le faut bien, mais je ne peux pas.
Je ne sais même plus marcher là, maintenant. Tout est... disproportionné.
Les normes ne me touchent pas d'ordinaire, elles me manquent quand je les perds.
Je n'ose même pas marcher, de crainte de salir quoi que ce soit. Ne rien toucher.
La pression que je suis le seul à exercer sur mes propres épaules m'ébranle.
C'en est trop d'un seul coup. Je ne veux pas d'alcool, de bar, encore moins de fric.

- Et être riche ? J'veux dire... c'est pas vital. Comment tu fais pour te lever le matin si tu as déjà tout ce qu'il te faut ? C'est pas une critique, non. Juste... une question.

Bloqué par mes pieds, je suis incapable du moindre pas. Tant pis.
Pire que d'avoir des rêves, l'idée de les réaliser un jour me pétrifie.
Je n'aurais alors plus de raison de me battre, ayant déjà profité...
Le meilleur n'est pas derrière moi, et ce fait m'anime au quotidien.
Si je me retourne, je ne vois que le noir, n'entend qu'un brouhahas.
A moins que son rêve à lui, soit de devenir grand, comme il dit.
D'ailleurs, entend-t-il qu'il veut changer le monde ou un truc du genre ?
Noble cause, j'en prendrais le parti en me refusant au pessimisme.

Cette atmosphère est pressante, je ne pourrais y vivre longtemps.
Il ne me réponds pas. Doucement, j'essaie d'énumérer l'ordre des pièces
que nous avons parcouru pour retrouver la sortie le plus vite possible.
Cours Charlie. Nous sommes deux, je suis de trop. Quelle gifle.

J'ai une aspiration profonde depuis mes jours les plus anciens, je le sens maintenant.
De tout mon cœur, j'espère ne pas avoir suffisamment d'argent pour deux jours succincts.
Il est impératif, voire primordiale, que mon quotidien soit animé par la peur du lendemain.
Dans la peur se trouve l'appréhension aussi bien que l'excitation et l'inattendu. Il le faut.
Je n'ai besoin que de carburant, pour ma moto et moi, rien d'autre. Je mourrai d'être riche.
Savoir que n'importe quelle vie est à ma portée me transcende en ce hors-la-loi que j'ai été.
Je ne veux pas d'attaches, les liens se brisent toujours. Demain est une nouvelle montagne.
Et je n'ose presque pas imaginer ce que serait ma vie avec des liasses entre les doigts. La sienne ?

_Je n'ai pas tout ce que je désire, et tout ce que tu vois autours de toi est faux.

Des dizaines de questions m'abrutissent, je m'efforce de les passer sous silence.
Ne pas passer pour le dernier des cons est une de mes nouvelles priorités ici.
Mon rapport avec l'argent n'est pas source de débat, je sais ce que je pense.
Parmi mes questions muettes: pourquoi entretient-il ce rapport avec le factice ?
Je ne reconnais pas de vertu au plastique, puisque je préfère m'entourer de verre.
Il est nécessaire qu'une erreur abime ma vie en la brisant lorsqu'elle tombe par ma faute.
Et le bonus vient d'un éclat perdu, incrusté dans ma chair offerte. J'apprends des coupures.

_L'illusion de vrai est incroyable n'est ce pas?

Totalement, puisque j'y ai cru le premier. Tête baissée et yeux fermés, pauvre idiot.
Mais je ne saisis toutefois pas l'utilité d'une vie en carton, entourée de faux semblants.
Je suis conscient que mon avis n'importe pas, ainsi je parviens à taire ma surprise.

- Ouais. Enfin... Oui, puisque même mon langage fait tâche il me semble.

Progressivement, je sens l'afflux de sang regagner mes jambes raides et engourdies.
Je suis le maitre au royaume de mon n'importe quoi. Oppressé par du carton doré...
Mais une amère sensation d'inachevée me lance toujours, je veux comprendre mon ami.
Du moins, je me plais à croire qu'il pourrait devenir un ami. Je ne le comprends pas, bon point.
Puisque l'argent demeure un champs miné pour moi, je rampe en terrain plus sur.

- Et ton téléphone ? Tu lui accordes une réelle importance non ? j'ose dans un demi sourire avant de rire doucement. J'ai eu l'impression, tout à l'heure, de tenir ton cœur dans ma main...

_Tu le tenais. Puisqu'il me permet de me cacher.

Une fois n'est pas coutume, je ne comprends pas, perdu dans un bassin trop grand pour moi.
Et si je n'essayais plus de nager, brassant moins d'eau que de vent... et si j'arrêtais maintenant ?

_Tu dois me prendre pour un dingue.

Je suis en dernière position dans la file des prétendants au poste de juge.
Peut-être même caché derrière le dernier, si cette place existe elle est mienne.
Qu'il se cache derrière un objet précieux n'a rien de fou, même si je ne saisis rien.
J'aimerais être un de ces mecs à qui rien n'échappe, vivre dans une autre époque.
Je dévisage Chuck, cherchant les mots qui pourraient contrarier mes idées creuses.
N'importe quelle ère, autre que celle-ci, sans technologie ni possession... ça existe ?

Je lui dirais alors que j'aimerais inventer un temps nouveau pour m'y cacher.
Refuge d'un sans-vie. Prétexter la fuite pour demeurer caché. Libre et pauvre.

- Non. Plus pour un prince, en fait, dis-je en bouffant ma lèvre qui me trahie.

Un seigneur aisé vivant dans un domaine luxueux ou le fruit est abondant.
Et malheureux, pourtant. Ou bien seulement heureux en apparence, qui sait ?
Mais cela saurait être pire : faire semblant. Pour qui ? Pourquoi ? Cela demeure mystère.
Cet être est semblable à un cadeau de papier dont l'enveloppe ne laisse rien présager quant à son contenu.
J'ignore encore si l'emballage préfèrera des ciseaux à mes mains, ni de quelle manière procéder...
Noyé pour de bon, j'achève ma descente en portant de nouveau les yeux sur son tableau. Rien.

Woh.

Il accuse le coup, comme si je venais de le menacer avec un revolver, ou un truc avoisinant.
Je me suis rarement senti aussi dangereux, seul et con. J'étais le gosse qu'on ne pouvait faire taire.
Même si j'étais sincère en livrant mes impressions à deux balles et mes comparaisons douteuses...
Ivre de n'avoir rien de vrai à lui montrer, je me contente d'admirer ce qu'il pourrait être.
Un prince ne semble pas être une idée si folle, je l'imagine clément et incompris dans sa grandeur.

Me menaçant à son tour, Chuck s'envole loin de moi dans un rire soudain.
Se foutre de moi semble pourtant de circonstance, ne reste que le petit con.

Je ne suis pas un prince. Loin de là. Et quand bien même où serait mon royaume ?

Il recouvre son sérieux, me laissant tout aussi seul que j'aurais pu l'être.
L'énigme de mon siècle portera son nom, rien n'est moins vrai, ou fort.

Charlie je pense que dans bien des sens tu es beaucoup plus un seigneur que moi.

Je n'encaisse pas, ne comprends pas. Pour changer. J'ai l'impression que les rôles s'intervertissent.
Son personnage gifle le mien en compensation de sa folle bêtise, juste retour des choses.
Comme un: tu vois ce que ça fait, maintenant, d'entendre tes conneries. Message reçu, je crois.
Je me contente de sourire largement, comprenant que j'aurais tout aussi bien pu rire comme lui.
Rire par déni à l'entente des quelques mots qui vous laissent incrédules tellement ils sont faux.
Faux, ou très éloignés de la vérité. Mais quelle différence au point qu'est le mien ? Aucune, surement.

- Haa, je fais durer la voyelle avant de griffer ma langue sur une de mes canines.

Ridicule, ce clébard.
Hé, Charlie ?

- Tu ne me connais vraiment, vraiment pas... dis-je en secouant la tête sans me défaire de mon sourire.

Ta gueule !

Et si tu entreprends de la fermer un jour, cette gueule, sois consciencieux.
Boucle-là bien, il faut t'y prendre correctement afin de ne pas avoir à le regretter.
Qui se souciera de savoir si on t'a mâché le travail, s'il est bâclé ? Ferme-la.
Ecoute pour une fois le conseil avisé d'un vieux cabot errant, ne souris pas.

Lèvres scellées, je laisse ma langue glisser de la première canine à sa jumelle symétrique.
Elle se flagelle comme je me torture, s'égratigne tandis que je guette la réaction de Chuck.
Je l'appréhende sans la redouter, l'attend sans vouloir la presser. Retour au n'importe quoi.

Tu es qui, alors ?

Ma langue préfère alors mes lèvres à mes dents, dans un temps éclair, puis retourne se meurtrir.
Je souffle dans un rire qui ressemble plus à un hoquet, tellement il est vide et court. Je me fige.
L'évidence me semblait pourtant être là, plus que jamais en ce lieu qui me dérangerait presque.
Je ne réponds pas parce que, honnêtement, j'attends que Chuck le fasse pour moi. Il doit savoir.
Il faudrait qu'il voit l'hébétude dans mon regard que je sens presque perdu, puisque sans repère.
Je laisse mes épaules se hausser dans un geste banal de déni soudain pour ma propre personne.
L'apparition du déni se veut soudaine, sa présence étant perpétuelle... Petit, petit Charlie.

Ne voit-il donc pas ? Même si je vis l'instant au ralenti, j'attends un violent coup de marteau.
Je sens ma main droite se lever, hors de nos vues et pourtant bien là, et mes lèvres se retrouver.
Mon corps semble ne plus être le mien, comme lassé de ma présence ou de mon éternelle rengaine.

- Personne, je répète comme pour millième fois de mon existence, sans tristesse toutefois.

J'ai accepté ce fait depuis des lustres déjà et personne n'y pourra rien changer, ce n'est pas triste.
Cela ne doit pas être triste, jamais. C'est ainsi, et je tolère cet aspect de mon semblant de vie.
J'ai souligné l'évidence par mon attitude, le temps reprend son court et je me jette dans son débit.
J'aimerais faire comprendre que ce n'est pas grave, vraiment. On vit très bien en étant rien.

Chuck a l'air contrarié. Peut-être suis-je en train de contrecarrer ses plans.
Ma réponse lui déplait, et moi, c'est la tournure des évènements qui me dérange.
Trop de moi dans ces propos, dans ses pensées mêmes, naturellement.
Mes mâchoires se crispent et entreprennent cette pression à laquelle je suis accoutumé.
Et, comme toujours, je sens que parler à nouveau ne sera pas chose aisée. Du tout.

Aux yeux de qui, Charlie ?

Et merde. Je n'ai pas envie de jouer, vraiment aucune envie de courir après une balle au rebond.
Je suis usé par mes pensées, fatigué par ma rengaine et les questions que j'inspire ces derniers-temps.
Du moins, c'est ce que j'essaie de croire. La vérité veut simplement que cette attention nouvelle me trouble.
Pourquoi maintenant ? Et plus important encore : pourquoi moi ? Je gâche le temps des autres. En plus.
Si j'avais des armes à rendre, je les déposerais volontiers aux pieds du monde. Parce qu'elle est là, sa réponse.

Aux yeux de qui ? Mais du monde, s'il pouvait voir. Du monde entier et ses quelques milliards de cœurs.
Qui se souviendra de mes mots perdus parce que trop faibles ? Personne ? Pourquoi ? Parce que je ne suis rien.
Je ne comprends pas comment cette logique implacable peut échapper à leurs esprits pourtant éclairés.
Aux yeux des autres aussi, si ce n'est quelques apparitions nouvelles et récentes dans ma vie.
Ils détourneront leur regard aussi, d'ailleurs, ceux qui essaie de comprendre du verre. Il n'y a rien.
J'aimerais lui montrer, que tout ça, ces fringues usées, ce corps et ce visage ne cache rien, du tout. Rien.
Ne pas essayer de comprendre, ne pas perdre son temps à m'inventer des personnalités fascinantes, surtout pas.

Mes bras pour seuls remparts, je les croise contre mon torse et exerce une pression qui calme mon cœur.
Je n'ai pas l'air bouleversé, je suis trop bien entraîné pour ça. Ne pas déteindre sur les autres : priorité.
Dangereux, seul et con. Encore. Et si je lui retournais là question, à mon hôte ? Que serait sa réponse ?

J'ignore volontairement sa question, en apparence du moins. Je reviens à la précédente.
Je dénoue très lentement mes mâchoires, retrouve un peu d'oxygène pour alimenter la machine.
Pourquoi ne puis-je pas simplement être personne ? Je vie avec ce handicap, il m'accompagnera au bout.

- Bon, disons que je suis un voleur alors.

Putain, si seulement ma voix ne c'était pas brisée au mauvais moment...
Tu as vu juste au premier regard Chuck, évidemment. Je suis ce dont j'ai l'air.
La foule veut du stéréotype et du sang, je l'approvisionnerai en clichés, toujours.
Bravo, sincèrement. Tu as visé le cœur avec ton tout premier mot. Tu es le prince.
Correctement armé, tu mérites les confettis. Pourvu que l'un d'entre eux m'étouffe.

Il y tenait vraiment, à me coller une étiquette, mon hôte. Mais je ne veux pas.
Je n'ai pas envie d'y répondre, à cette question que tout le monde me pose.
Parce que personne n'essaie jamais de se mettre à la place du cabot : trop éprouvant.
Je suis usé d'avoir à assumer les stéréotypes qui vont de paire avec un aveu, sincèrement.
N'importe quel mot aurait pu sortir, au choix : délinquant, orphelin, raté, danger...
Et j'avais opté pour le vol parce qu'il charriait son lot de clichés, justement. Content ?
Cette figure ne tenait même plus de l'abandon, c'était autre chose, plus un éloignement.
Même pas une esquive, je suis trop fatigué pour courir, j'aimerais plutôt sombrer en paix.

J'étais le voleur puisqu'il fallait être quelque chose pour rester ici, apparemment. Dommage.
Et le dommage, justement, sera collatéral. Comme une erreur de parcours sur un brillant CV.
Mais je sortirai de la vie de Chuck aussi vite que j'y étais entré, et sous le même nom qui plus est.
Voleur, avait-il dit. Voleur je serai. Et puis, cet endroit-là... il ne m'adopte pas et l'aversion est réciproque.
Rien ne colle et le disque s'enraye, c'est tout. Je ne confierai plus mon aspiration unique : n'être rien.
Pauvre et éreinté, c'est ainsi que je resterai. Jusqu'au jour où mes jambes ne me le permettront plus.
Mon passé se tient à mon côté, tout disposé à égratigner mes cicatrices rougeoyantes, prêt à frapper.
Et ce sont ces coups à lui qui m'abattront, puisque les autres m'arrachent beaucoup trop de pensées.

J'aimerais arrêter maintenant d'ailleurs. Ne plus penser, arracher la verve qui fulmine en moi.
Me taire et cesser de m'écouter, ne plus parler, aussi bien en dehors que dedans. Surtout dedans.
Je ne sais pas admirer les courbes d'un vieux trait de pinceau, je n'apprécie pas une vieille bouteille.
C'est comme ça, je ne sais pas faire ces choses et je crèverai de devoir les apprendre. Laissez-moi.

Suis-moi.

Il ne prend même plus la peine de me cacher sa lassitude. Très bon choix, joli crochet.
J'apprécie la sincérité de sa figure, même si elle est tardive. Se défaire du cambrioleur est brillant.
Mentalement, j'essaie de retracer le chemin du retour mais n'y parvient pas. Trop de... trop.
Je le suis parce qu'il s'ennuie mais je ne l'en blâme pas, le divertissement n'est pas de choix.
J'entrevois sa porte, l'immense et scandaleuse porte surdimensionnée. Il se débarrasse enfin.
Porter un déguisement chaque jour de sa vie est une situation plus triste encore que la mienne.
Emprunter à un prince sa demeure, ses fringues, ses manières et même sa bagnole... pour rien.
Qu'il se foute de moi, le jeune Chuck après ça. J'ignore qui de nous retiendra la leçon. Moi, surement.

Tant pis pour la rixe je crois, j'éviterai d'être sincère la prochaine fois que je confesserai mon statut.
Je veux n'être rien, ce n'est qu'ainsi que je traverserai les âges jusqu'au dernier. Caché dans l'ombre.
Dans l'ombre de personne en particuliers, juste... planer sur la fréquence Charlie, mes démons dans le dos.

Tu peux respirer pleinement, à présent.

L'extérieur est là. J'essaie de ne plus prêter attention au décor d'époque. N'y arrive pas.
Je respire, Chuck, mais ne te le dirai pas. Je ne parle plus, alors ? Décidé ? N'importe quoi.
Les mots me trahissent moins que mes gestes, de toutes façons. Je suis d'une transparence navrante.
Il lira dans mes yeux, ma posture ou ce qu'il jugera de traitre que j'ai été sincère la première fois.
On me fout à la porte parce que j'aurais eu la faiblesse d'avouer une unique chose... Je comprends.
Sans blague, je comprends. J'ignore encore s'il marche sur la bande du stéréotype ou bien l'autre.
Je ne sais pas s'il reconduit un voleur ou l'ombre d'un fantôme, ni de qui il croit se débarrasser.

Les choses seraient si simples si j'étais un autre, moins con et plus facile à mater, à construire.
Il aurait fallu me formater depuis des décennies pour arriver à un résultat plus probant.

- Je suis désolé, tu sais ?

La force du vent me surprend tandis que je sors réellement du manoir. Je lui tourne le dos.
Il me faut partir maintenant mais son putain de portail est fermé. C'est quoi son jeu exactement ?
Je suis censé sauter la barrière comme à un concours entre un maitre et son chien, c'est ça ?
Ou peut-être souhaite-t-il me lâcher une dernière chose avant de me faire partir vraiment.
Je ne comprends rien, n'ai jamais rien compris à l'affaire. Depuis mon premier pas jusqu'au dernier.
Le luxe a d'immondes effets sur moi, je ne me reconnais plus et donnerais n'importe quoi pour me faire taire.
Vraiment, vraiment désolé. Il le verra, comme les autres à mon regard, que je suis sincère.
Je me retourne, mêlant l'hébétude à la sincérité. Quel est ton jeu ? Laisse-moi partir.

- D'être comme ça.

La voici en somme la conclusion de cette démarche : je suis désolé d'être moi.

Tout ce vent pour ça en résumé, tout cet afflux de sang et cette perte de contrôle...
pour une excuse. Mais elle est vraie, pourtant, cette démarche de bandit. Véridique.
Je vise souvent dans l'absolue vérité lorsque j'enlève le masque qui me cache parfois.
Et cette fois, je la crache presque la folle vérité tellement ses questions me brulent.
Tu es qui ? demande le commissaire, et bien... un voleur avoue l'accusé.
Parce qu'une autre vérité semble échapper à mon interlocuteur, ici présent.
Il n'y a pas de bonnes réponses à ce semblant de question, ceci n'est rien qu'un coup bas.
Et dire que je suis déjà à terre, n'a-t-on pas de meilleures proies à décortiquer ?
Personne que j'ai répondu, parce que j'ai cru pouvoir être franc avec lui.
L'erreur m'attendait en bas du précipice, moi je saute au lieu de me laisser couler.

Aucune bonne réponse possible, pas une seule à considérer. Quel beau traquenard.
Il m'avait eu, le prince dans ses beaux habits et je ne lui en voudrais surement jamais.
Prisonnier une seconde fois mais par d'autres bourreaux, la lutte dépend de moi.

T'as pas a t'excuser, vieux.

Il est là, le chasseur. Juste en face de moi et il se prend la tête, au sens propre.
Bravo Charlie, voilà qu'on se tourmente à cause de toi. Putain de chien enragé.
Même sans avoir la volonté de me battre, il semblerait que le venin coule des mots.
Je sais en vérité que mes gestes renferment un pouvoir de destruction plus gros encore.
Il est possible de choquer sans toucher, et j'y suis déjà parvenu. Ne recommencerai plus.

Il utilise le même mot que j'avais précédemment employé à son égard et il m'arrache un sourire.
Non, cette fois-ci je mens pour la première fois. Je souris parce que l'appellation m'amuse. Voilà.
Et il a tord de toutes évidences puisque si, il me faut exprimer mon repentir. Sache que je regrette.
Si j'avais su que dévoiler ma personnalité vraie et mes croyances le peinerait, j'aurais tenu ma langue.
Voici qui m'apprendra, j'aime tirer une leçon de mes conneries, la prison est faite pour ça, d'ailleurs.

Je n'arrive pas à appréhender ses réactions, je ne suis pas même sûr de le vouloir.
Qu'il cesse de jouer pour l'heure et me chasse comme il l'entend. Je me relèverai.
Et voilà, vu ! Ce simple petit mouvement-là m'achève. Chuck hausse les épaules.
Si tu veux courir cours pour de bon au lieu de nous taper un discours sur la marche !

Je ne voulais pas te foutre dehors. Juste qu'on sorte de l'ambiance oppressante du salon.

Je soupire sans le lui cacher parce que je m'exaspère, et je réalise grâce à lui.
Je me rends compte que je ne me supporterai pas jusqu'au bout. Impossible.
Comment pourrais-je vivre en paix si une agression passive m'anime toujours ?
Je serai ma propre mort, le perfide poison qui s'épandra doucement jusqu'à mon cœur.
N'importe quoi de bout en bout, je mènerai la barque à renfort de stupidité, joli tour.
Plus que jamais personne, je renforce mon sentiment de désolation profonde. Pardon.
Pardon à mes parents, ma grand-mère et tous ceux qui méritent meilleur écho.
Dire que je suis tout ce qu'il reste des miens, quel beau gâchis, ce spectacle pathétique.

Je ne sais pas pourquoi, et qu'on ne me le demande pas sous peine d'ébranler ma santé mentale,
je viens m'asseoir à côté de Chuck, sur une des trop belles marches de son trop grand perron.
A croire qu'aucun pied n'a jamais posé son empreinte ici, qu'elles sont lustrées en permanence.
Je me relèverais bien pour m'assurer que je ne salie rien mais la lassitude l'emporte. Tant pis.

- Tu trouves ton propre salon oppressant maintenant ?

Il rit alors et l'écho de sa voix me percute tellement je l'apprécie.
Frais et spontané, son rire me fait un bien dont il n'a pas idée.
Je ne voulais pas l'amuser en posant la question, vraiment pas.
Peut-être cherchais-je même l'exact contraire en lui demandant.

Pas faux.

Donc c'était vrai ? J'aimerais autant qu'il n'enrobe pas les mots.
On dit qu'un "tout à fait" est plus faux qu'un "oui". Le simple est vrai.
Je n'ai pas vraiment le cœur à décortiquer des lambeaux de phrases.
J'ai besoin de ton aide là Chuck. Crache un adjectif si tu veux.

Mais.

Ok...

Il l'était pour toi non ?

Voilà je ne sais même plus de quoi on parle, il m'a égaré pour de bon.
Mon regard navigue d'un œil à l'autre, comme si y logeait une réponse.
Oh oui c'est vrai, ma superbe transparence est à l'ordre du jour je crois.

- Mmh.

Et il gémit, celui qui réclame des mots. Faites ce que je dis, pas ce que je fais.
Comme si j'avais déjà été un exemple une fois dans ma vie, de toutes façons...
Mmh quoi ? hein ? Quel con je fais sans blague, une unique solution s'impose.
Je vais juste arrêter de penser à moi sans cesse, plus de jérémiades. Fini.
Alors je regarde Chuck et entrevoit toujours son sourire auquel j'aimerais faire écho.
Mais je n'examine plus mes réticences parce qu'elles ne sont pas dignes d'intérêt.

Ce que je veux vraiment savoir en réalité, c'est pourquoi il me sourit, lui.
Et oui, je suis conscient qu'en disant "ce que je veux" je parle encore de moi.
Mais percer le mystère Chuck n'est pas une mince affaire je le sens, tant mieux.
Qu'un jour ne soit pas suffisant, je l'espère en tout cas. Il renferme de grandes choses.
J'aimerais aussi savoir pourquoi il laisse son temps se perdre à cause de moi.

- Me demande pas pourquoi, je lâche d'un ton plus tranchant que je ne le voudrais.

Je veux savoir si mon cœur de nouveau calme est apte à comprendre les secrets du sien.
Il serait également appréciable de déchiffrer les clés de ses aveux sur le fric et sa condition.
Savoir pourquoi et comment. Pour qui et depuis quand. Même pas pour être curieux.
Je ne rentre pas chez les autres pour contempler les tapisseries, cela se saurait. Non, non.
Mais voilà, juste comme ça. Parce que c'est Chuck et qu'il a cet effet sur moi.

- Parce que j'en ai aucune idée.

Je souris enfin.