Non, je ne sais pas pourquoi je souris ni pourquoi je n'aime pas son salon.
La déco, peut-être. N'importe quoi. J'apprécie ma connerie pour la première fois.
Ouais, je vais lui répondre ça à Chuck, que je n'aime pas son lustre...

Ok.

Mon sourire s'élargit franchement et j'échappe même un rire.
Qu'est-ce qu'on a l'air con, assis là tous les deux à pas savoir se parler.
J'ai à nouveau huit ans dans une cours de récré, et putain ce que ça fait du bien !
Ma langue se délit mais pas pour parler non, pas encore. Je me contente de sourire.
Je mouille mes lèvres par réflexe de peur de trop les étirer pour un instant.
Doucement, je recouvre mon calme originel et ébouriffe mes cheveux.
Je ne sais pas à quel jeu nous jouons, si j'en fais partie ou connais les règles.
Mais je l'aime ce terrain-là et je profite un peu de la tranquillité qu'il propose.

J'aime l'air pur de l'avant-cour, quitte à ne pas connaitre encore son propriétaire.
J'aime le fait que sa paix d'esprit m'imprègne aussi efficacement qu'un parfum.
Il me fait du bien sans le savoir et moi je le remercie dans l'ombre d'un sourire.

Bon alors, mon royaume te plait ?

Aïe, j'anticipe la douleur et mon sourire se perd.
Le royaume était bien là, aucun doute concernant ce fait.
Prince de son chez lui, il avait le mérite de me parler.
Magnanime, ce roi mine de rien. Je lui reconnais bien ça.
[et mine de foire, même]

Surpris comme harponné, j'éclaircis ma gorge en me redressant.
Et puis merde, je ne vais pas lui mentir au point de ne savoir parler.

- Non ! je souris entre mes dents serrées.

Je ris parce que je ne peux pas me cacher là, pile à ses côtés.
Ou bien peut-être suis-je caché dans mon rire. Non, même pas.
Et parce que ça ne suffit pas, ma tête se hoche dans le déni.
Mes pensées et puis mon corps maintenant, vive le contrôle.

J'veux pas te vexer.
J'ai failli le dire, vraiment. Mais il le sait de toutes évidences.
Je ne vais pas me ramener chez lui avec la ferme intention de l'agresser.
De le voler non plus, d'ailleurs. Et j'ai envie de lui dire, que je suis un voleur.

- Il est vraiment beau ton château, ma tête acquiesce aussi, mais je mourrai de devoir y vivre.

Parce qu'on avait prévu d'emménager ensemble maintenant ?
Pauvre con.

Mais pourquoi je suis allé dire ça moi ?! "J'en mourrai..."
J'en connais pas beaucoup des gens qui crèveraient plutôt que d'habiter un manoir.
En fait j'en connais pas beaucoup, des gens.

Oh.

Qu'il est expressif Chuck aujourd'hui. Je souris encore de ne rien comprendre.
Et puis pourquoi je dis "aujourd'hui" moi ? Je ne le connaissais pas hier.
Quel con sérieusement, quel con. Quoi qu'il en soit, il les aiment ces sons.
Je suis encore sous le coup de ce truc-là, ce qui c'est passé dans son regard.
J'ai pas plus compris l'histoire qu'une équation au quatrième degré mais bon.

Je prends note alors.

J'admire le spectacle comme s'il s'agissait d'un tour de magie.
Avec la bouche entrouverte et les yeux écarquillés, ouais.
Je souris même d'anticipation, figé comme un blaireau.
Je lâche un "Ah" muet, mot le plus court de ma vie.

Colocation avec Charlie, a oublier.

Je me marre avec toute la franchise qui m'habite dans l'instant; autant dire beaucoup.
Je ris fort mais m'en cogne royalement. Il m'amuse, son tour. Alors j'en ris voilà.
Mais une idée de gamin me vient et je l'exécute sans même y penser.
Parce que les meilleures décisions sont toujours prises dans la fougue du moment.

Je prends la main de Chuck et l'approche de mon visage, je ne réalise pas tout de suite.
Moi aussi, je lis sur le bloc-notes et je ne trouve pas ce que je cherche.

- Non, sans le gros lustre ça devrait pouvoir le faire.

Et je m'en tape s'il vaut le prix d'une de mes jambes, ce lustre.
D'un geste naturel, je trace une courbe sur la paume de Chuck.

- Passer... chez... Ikea...

Avant de lui rendre sa main je sonde son visage puis reviens à mes gamineries.
Par soucis du détail je souligne le dernier mot. A deux reprises pour plus d'impact.
Ce n'est que lorsque le contact se rompt que je réalise que je l'ai touché pour la première fois.

Chuck ne semble pas se formaliser de mon geste, alors je ne m'attarde pas sur la question.
Je suis plus proche de l'état sauvage que de l'homme civilisé mais aucune ligne n'est tombée.
A la place, je me rends compte que c'est avec mon majeur que j'avais écris sur sa main.
Les stylos, on les imite avec l'index chez les gens normaux, pas vrai ? Disons que je m'en fous.

Il rit et moi je profite du timbre de sa voix sans songer qu'il se marre grâce à moi, justement.
A ce moment-là j'aurais surement partagé mon gouter avec lui, dans la cours de récré.
Même si la bouffe en question aurait été faite-maison et n'aurait pas de valeur véritable.
Parce qu'il est là, le secret de cette entrevue, tout ça est vrai et dépourvu de bon sens.

Merci pour le conseil Cha'.

On ne m'avait jamais appelé comme ça. A part en prison, je n'avais jamais eu de surnom.
Et il était loin d'être aussi léger, le surnom en question. Mes parents ne m'en ont pas donné.
Sûrement parce que Charlie en est déjà un en lui-même, j'imagine. Ou bien j'ai oublié.
Les appellations préférés de mes parents, de ma grand-mère, n'avaient rien à voir.
C'était plutôt du genre personnel et universel à la fois, un mon ange qui ne m'allait pas.

J'y suis jamais allé, à Ikea je veux dire.

J'essaie de déchiffrer un quelque chose qui m'échappe au fond de ses yeux mais rien ne filtre.
Plus tard, j'imagine, je comprendrais un peu mieux. Je l'espère de tout mon cœur d'enfant.
Le bloc-notes débarque à nouveau et Chuck, lui, sort carrément un stylo imaginaire.
Moi, j'écrivais avec mon doigt... Sauvage jusqu'au bout de ma connerie, finalement.

Passer... Chez... Ikéa... je souris de l'entendre me relire avant qu'il ajoute : Avec Charlie.

Et il entoure mon prénom comme s'il avait une importance quelconque.
Je souris parce que ce nom-là ne mérite pas d'être relu en fin de compte,
parce qu'il accepte de se débarrasser de son lustre pour un pauvre inconnu.
Alors qu'il se peut qu'il soit dans sa famille depuis des décennies, ce truc.
Peut-être qu'un de ses vieux oncles s'en est servi pour se pendre ou autre...
S'il avait une histoire ou une valeur marchande, je l'insultais et le regrettais.
Mais je souris parce que je suis toujours coincé avec le gamin que j'ai été.
Et j'adore ça, même si l'avouer me prendra un temps certain, je le sens.

- Avec Charlie, que je répète pour approuver.

Parler de moi à la troisième personne me perturbe, même si je le fais parfois, quand je me hais.
Jamais à voix haute toutefois mais ce détail est de bien peu d'importance en ce moment précis.

- Tu crois pouvoir me caser dans ton agenda ?

Je souris joyeusement, tout prêt à ce qu'il m'envoie me faire foutre à n'importe quel moment.
Son rang, son job et son emploi du temps... je peine à penser qu'une case me sera réservée.
Parce que même si on déconne, même si on est deux gosses face à un cahier imaginaire...
Je viens de transformer le bloc-notes en agenda électronique, mine de rien.

Et même sur que je peux te caser dedans.

C'est pas comme si je le méritais mais j'apprécie la démarche. Même si c'est un mensonge.
Peut-être se débarrasse-t-il du poids d'une question gênante, en s'adressant directement au môme.
" On est presque arrivés ? On est presque arrivés ?" Ils répondent quoi, les parents, hein ?
Au début ils essaient d'expliquer et de prendre leur mal en patience puis il beugle un oui.
Juste pour être tranquilles et aspirer à un peu de paix dans l'habitacle. Ils le font tous.

Mais quelque chose me dit que la phrase de Chuck n'est pas de cet acabit-là.
Il veut vraiment me caser dans son planning d'homme pressé, j'en reste con.
Je plaisantais moi, en demandant s'il pouvait bousculer un truc pour moi...
Mais lui il m'offre la franchise en retour et j'en suis bluffé pour autant.

'Fin seulement si tu veux venir avec moi, hein ?

Et maintenant c'est lui qui doutait de moi, et de ma présence à Ikéa.
De toutes façons je ne saurais même pas dire non à un mec comme lui.
Pas pour céder à ses envies mais par soucis d'égalité, je suis redevable.
Ce sentiment est grand et depuis le début, je m'endette chaque seconde.
Je sais pourtant que c'est moi qui lui ait ramené, son bien. Mais quand même.
Parce que j'ai souillé sa baraque en m'y trouvant, et sa voiture aussi.

Après tout, c'est toi qui le trouve moche mon lustre.

Si c'est un reproche j'encaisse parce que je ne l'ai pas volé, contrairement au reste.
Quelque chose me dit malgré moi que la cloche n'a pas encore sonné, le jeu n'est pas mort.
Et j'espère ne pas me bercer d'illusions en affirmant que ceci n'est rien de bien méchant.
Juste un brin de légèreté. Je n'y suis tellement pas habitué que je n'arrive pas à la reconnaitre.
Ici on emprunte des sentiers plus fins mais tout aussi beaux à renfort d'ironie et de spontanéité.
Je pourrais m'habituer à arracher le sérieux de ma vie plus souvent, tellement ceci est plaisant.

Puis oui, je le trouvais moche son lustre, mais mon avis ne comptait pas.
Je ne sais même pas où s'arrête la beauté puisque je la trouve partout.
Alors sans ciller, ce lustre devait être sacrément laid pour que moi je l'avoue.
Je souris en songeant que j'ai fait un blocage sur le plafond parce qu'il le fallait.
Une victime de plus pour Charlie, j'avais choisi le ciel parce que je lui en veux encore.

Sérieusement ? Il veut de moi à Ikéa ?
Pas trop peur que je vole un drap ?

- J'suis sur que dans le noir il est pas mal, je souris à ses yeux.

Sauf que ça s'allume, un lustre...

De mon état de danger aliéné et con ne reste plus que la connerie.
Et en force, ma stupidité. Pas juste une trace qui me gênerait.

Mouais. Peut être après tout.

Ainsi je ne suis pas le seul à ne plus savoir quoi dire.
Le temps s'égraine doucement quand règne l'embarras.
Je suis chargé de tonnes de honte depuis les années et pourtant...
Pas envie d'en parler dans l'immédiat si je dois mentir après.
Être un cambrioleur charrie son lot de clichés, dont le charme légendaire
à l'exception près que quand on se fait prendre, on le perd, ce charme.

Tu n'as pas répondu Cha'.

Chuck sourit et je refoule une grimace. Je n'aime pas ce surnom je crois.
Parce qu'il puise dans la facilité surement et efface la moitié de mon nom.
Ouais peut-être... Charlie, ont choisi mes parents.

Tu viendras avec moi pour le changer ce foutu lustre ? Et surement beaucoup d'autre choses.

Alors c'était du sérieux cette histoire de shopping ?
Bizarrement, je trouvais l'idée plaisante. Vraiment.
La foule et les prix ne m'aiment pas, pourtant.
Et j'ai tout sauf l'âme d'un client type.

Je le suivrai moi, à Ikéa, sauf qu'un détail m'ennuie vraiment.
Le manque d'argent, de mon côté du moins, pose problème.
On ira et je poserai les yeux sur tout ce que je n'aurai jamais.
Raison de plus, tellement elles me déplaisent, ces choses étiquetées.
Le matériel est un poids dont je n'ai pas besoin, je m'en déleste.

- Je t'accompagnerai.

Bien sûr que j'irai, ce sera une aventure de plus, bienvenue.
Je réalise que je ne souris plus que lorsque je souris à nouveau.

- Mais n'écoute aucun de mes conseils.

Je hoche la tête, ceci est un avertissement.
Les choses ne m'aiment pas et je leur rends bien.

Il fronce les sourcils et me dévisagent pour mieux me donner une importance que je n'ai pas.
Comme si c'était moi l'énigme à présent. Je suis pourtant le maitre incontesté du n'importe quoi.
Sans surprises pour personnes, je n'ai de caché que mes plus lourds secrets. Tout le reste se voit.

Et puis le stylo revient, ce n'est pas le même d'ailleurs. Cette fois il vient de son doigt.
De l'index, comme par enchantement. Moi je ne sais pas mimer un stylo comme ça.
Mais lui, si. Parce que rien ne lui semble impossible tandis que moi je suis foutu.
Et le pire dans tout ça, c'est que ça se voit tout de suite. Toujours dans le ravin.
J'ai toujours une montagne devant les yeux, et je sais qu'elle est rude.

Attends je relis un peu tout ça... J'ai besoin d'un petit rappel. Juste pour être sur.

D'accord. J'avais presque oublié que son calepin enchanté était toujours là.
Mais j'ai jamais été bon à faire semblant pourtant, aujourd'hui, rien de plus facile.
Prétendre n'est pas mon fort au quotidien, ce jour-là éclipse juste le calendrier.

Ouais, c'est bien ce que je pensais.On va la-bas pour que tu survives ici. Donc tes conseils, je ne sais pas si je vais les suivre, mais tu peux être sur que je les écouterai attentivement.

Injustement important à nouveau, je suis gratifié d'une attention délicate.
Même s'il déconne ou me taquine encore, je ne regretterais pas de me leurrer.
Je me berce d'illusion, tant pis. Je crèverai mes yeux demain s'il le faut.

Cette fois c'est un vrai stylo qui surgit, et il vaut peut-être le prix de ma moto, l'engin.
Je me demande si ses stylos imaginaires ressemblaient à celui-là. Le mien était un crayon.

Donne moi ta main Charlie, s'il te plais, je n'ai pas de papiers.

Je m'exécute sans réfléchir avec un pincement au cœur en songeant que le métier me déforme.
Il garde ma main droite et j'en profite pour maudire ma conduite mécanique. Putain de job.
Je me penche mine de rien pour voir ce qu'il écrit sur le revers de ma main, il marque ma peau.
Impossible de voir ce qu'il résulte de son application mais Chuck prend son temps. Quatre fois.
La même série est répétée quatre fois. Et un nouveau tatouage pour Charlie. Je regarde encore.
Ce n'est que lorsqu'il entreprend d'ajouter un mot en dessous des premiers que je peux les lire.
Une série de chiffres. Une autre ligne de chiffres incrustée sur ma peau. La violence.
C'est la violence qui me revient en premier et qui contraste superbement avec la douceur de Chuck.
Parce qu'on a beau ne pas le mentionner, ce qui se passe ici est gentil, naïf et enfantin. L'opposé, quoi.

A peine me rend il m'a main qu'elle vole jusqu'à l'intérieur de mon avant-bras gauche.
Là se trouve une toute autre rangée de chiffres, ceux qui sont ma vie et ma mort à la fois.

94941

J'effleure le tatouage du bout des doigts parce qu'il me brule, celui-là. Et pour longtemps.
La scène n'a évidemment pas échapper à Chuck qui aurait tous les droits de me prendre pour fou.
Alors au lieu de le cacher, pour une fois, je lui montre mon bras. La calligraphie est belle et le trait net.
Mais personne ne s'arrête à ça, parce que ces chiffres-là renferment un secret dont l'issue est double.

- Mon matricule, je lui avoue sans sourire.

Maintenant je suis soit un soldat, soit un taulard.

9... Cette courbe renvoie le froid qui m'entourait lorsqu'elle est née.
Je sens mes doigts glacés par l'absence de circulation en leur extrémité.
Mon sang me fuit comme il a voulu le faire tant de fois déjà. Habitude.
J'aimerais trembler, comme ça juste pour voir, une seule fois.
Sentir le contrôle m'échapper et un frisson me trahir, j'adorerais.
J'approuverais alors dans une pensée que je suis humain, malgré tout.

4... l'angle élégamment conçu du chiffre est l'intacte réflexion de mon mouroir.
Obtue et inconfortable, une cellule comme les autres et si détestable, pourtant.
J'ai conscience de l'énorme euphémisme dans lequel je m'enfonce depuis des ans.
Cliché ambulant, du premier de mes cheveux à la plante de mes pieds. Un con.
Un énorme connard enfoncé dans un stéréotype dont il est l'auteur, en plus.
Comment s'attacher à un de ses boulets qui entrainent les corps dans l'eau ?
A moins qu'une chaine soit déjà rivée à lui, je ne vois pas, ne comprends pas.

9... Celui-ci avait été précipité dans sa création, comme pressé d'être immortalisé.
Il a réussi son pari, le voilà encré en moi pour toujours, le pauvre.
Allez Chuck, dis-le moi que j'te fais pitié, je te supplierais presque pour ça.
Non mieux, déteste-moi. Donne-moi l'occasion de me prouver qui je suis.
Je veux être une bonne fois pour toute le sorti de prison qu'ils dévisagent.
Laisse-moi être celui-là, peut-être même le vois-tu déjà. Ne m'aime pas.
Putain j'en crève d'envie, je veux inspirer la haine et l'avoir choisi.

4... Ouais, quand je dis que je suis ce pauvre con que personne ne semble voir...
Ils ne m'aiment pas les gens, j'aimerais inspirer la haine plutôt que l'indifférence.
Juste une fois, rien qu'une. Je veux avoir une raison de plus de me détester.
Ils comprendront alors, pourquoi je ne m'aime pas. Parce que je sais.
Je sais blesser, trahir, voler, mentir, saccager, partir et ne pas regretter.
Parce que merde, je ne regrette pas d'avoir volé de la bouffe pour commencer.
J'avais mes raisons, que l'aveugle justice soit également sourde ne m'apprend pas.
Elle serait morte de faim, à défaut de crever comme elle l'a fait. Pas de regret.

1... Non, non, non. Rester dans l'ombre est ce que j'ai toujours bien fait.
Juste... passé inaperçu et ne pas entailler les autres à ma place. Plus jamais.
L'indifférence alors ? Oublie-moi, rien de plus facile tu verras. Que dalle.
D'autres pourraient témoigner de la tranquillité qui emplie cette tâche.
Tant mieux, après tout et surtout vous. Toi d'abord, comme toujours.

Bien.

Putain non. Tout sauf ce truc mon gars, ça n'a rien de bien, crois-moi.
Sérieusement, retire la perche que tu me tends ou tu me détesteras.
Non, ce n'est pas bien. C'est pathétique ce que tu viens de voir, tu le sais.
T'es intelligent pourtant, tu devrais savoir ces choses-là, t'as déjà écris dessus ?
Un jour je lirai un papier sur la vie en milieu carcéral, histoire de... rien.

Je ne te le demanderai pas. Ce qu'il s'est passé.

Encore heureux. J'imagine même pas ma réponse, à ce niveau-là.
Je le dis à des étrangers, parfois, pour alimenter les conversations.
Je me retrouve au milieu de diners étrangers, entre deux rires inconnus...
Source de mépris ou d'étonnements, je nourris vos pensées des miennes.
Cela m'arrive rarement c'est vrai, de moins en moins ces derniers temps.

Je pose mes doigts glacés sur l'ancienne brulure de mon bras, devenue cicatrice.
L'effet attendu est immédiat, le soulagement remplace l'effroi.
Et puis de toutes manières, j'aurais répondu quoi ? Rien, surement.
Ou n'importe quoi, oui... comme d'habitude, j'aurais lâché une connerie.
Peut-être même un mensonge, une vérité enrobée ou un passé caché.
Mais je le sais que je traine ce poids de mon plein gré, tout le monde sait.
Il suffirait de courir droit devant sans jamais n'avoir à en souffrir, hein ?
J'ai choisi, je crois, de marcher à l'envers, les yeux vers le connu, le trop tard.

- On est vraiment partis du mauvais pied toi et moi, mmh ?

Tu as vu juste dans l'immédiat, mais tu m'as écorché avec une allusion.
Moi j'ai arrêté de respirer, comme un con et maintenant je divague.
La vérité vraie est là aussi, Chuck allez admets: nous ne savons pas danser.

Y'a bien une histoire, quelque part, qui parle d'un prince et d'un voleur, non ?
J'ai réellement besoin de la lire ou qu'on me raconte la fin, tout de suite.
C'est à l'issue d'un conte qu'on en tire les leçons, non ? Chantez-moi la morale.
Qu'est-ce que je ne dois pas faire, ici ? Quelle phrase changerait tout ?
Comment est-ce qu'on efface les conneries du pauvre à côté du prince ?
Le prince et le pauvre, ça existe, non ? Ils font quoi, déjà, ces héros-là ?

Tout ce que je suis en état d'avancer, c'est que le riche fixe le pauvre muet.
Et il a pas du tout envie d'échanger son rôle contre celui du seigneur, pourtant.

Tu sais, moi je ne crois pas qu'il y ait de bon ou de mauvais pied. Moi, si je dois résumer ma vie aujourd'hui avec toi, je dirais que c'est d'abord des rencontres.
Des gens qui m'ont tendu la main, peut-être à un moment où je ne pouvais pas, où j'étais seul chez moi. Et c'est curieux de se dire que les hasards, les rencontres forgent une destinée...

Chuck sourit et achève le peu de contrôle qu'il me restait entre les mains.
Je ne pige rien, si ce n'est qu'il cite un film dont le nom ne me revient pas.
Je suis fatigué de me détester, vraiment. Et pourtant je hais tout de moi.
Si seulement je n'avais pas oublié jusqu'aux basiques des échanges humains.

D'accord, j'arrête.

S'il te plait, ouais.

Te fais pas de bile, Charlie.

A propos de quoi, en particuliers ? Parce que la non-inquiétude, je ne connais pas.
C'est normal, que je saigne là ? Même si on le voit pas, j'te jure que je saigne.
Je le sens, tout le monde devrait le voir pour savoir et m'éviter correctement.
Dérangés par l'odeur et la vision du sang qui couvre mon bras, mon visage, mes mains.
Ils auront une preuve pour justifier la répulsion qu'ils ressentent naturellement.
Je pue le sang, même si sa symbolique renvoie au vol et à l'injustice.

Il manque un truc. Là, quelque chose. Je ne sais pas ce que je cherche ou attends.
Mais Chuck, 94941 ! 94941, putain ! Dis-moi que je suis le gros con que je sais être.
Pour mon bien, même si tu n'en as rien à foutre. Déteste-moi rien qu'un moment.
Justifie mes pensées, trouve-moi une excuse, témoigne pour ma sentence.
Je ne me hais pas pour rien, je ne suis pas fou de vouloir me mutiler.
Il faut qu'on m'aide, je ne le reconnaitrai jamais mais merde, j'ai besoin d'aide.

- C'est ce que je fais de mieux.

Et parce qu'en tapant sur mon épaule il a exorcisé une part du connard en moi...
Je souris. Comme un con, et pour de bon. Je ne suis pas seul, ne l'ai jamais été.
Putain il suffisait seulement de regarder autour de moi. Tant de mains tendues...

Je sens mes épaules se distinguer l'une de l'autre, c'est débile mais je le sens.
Comme si elles n'étaient plus liées comme avant, par un poids commun.
Et mon ventre bondit si bien qu'il percute mon cœur. Ça s'appelle la légèreté.
Fait unique. J'ai méchamment envie de parler. Si rare que j'aimerais le noter.
Donne-moi ta main, Chuck, j'ai une date à entourer moi aussi. Putain, merci.

Tu me diras ce que ça signifie ? Un jour je veux dire...

Ses yeux sont couchés sur le tatouage que mes doigts couvrent encore en partie.
Je veux sourire sans me rendre compte que je souriais déjà à pleines dents.

- Oui ! je lâche avec précipitation.

Parce que... merde, j'en ai vraiment envie, j'le chanterai même si tu veux.
Parce qu'il est complètement juste que tu l'apprennes, après mon spectacle.
Parce que j'ai très envie de te faire confiance, sérieux, et parce que...

- J'te considère déjà comme un ami, tu sais ?

Et je considère le fait que j'ai huit piges à nouveau, je veux partager mon cookie.
Je prends en considération le fait que je suis un con, ne t'en fais pas.
J'ai conscience de la folie de mon aveu, tellement il est soudain dans sa connerie.
Tout est prit en compte plus vite que je ne l'aurais pensé. Parce que je ne pense plus.
On les sent ces choses-là, celles qui ne s'expliquent pas. On en parle pas, souvent.

Je regarde Chuck avant de mordre ma lèvre, prêt à recevoir un coup.
J'imagine les pensées incrédules qui déchainent son esprit face à moi.
Et crois-moi ou pas mais je ne suis pas désolé, vraiment, vraiment pas.

- T'as le droit de me foutre en dehors de chez toi maintenant.
J'te promets de ne pas crier comme une gonzesse parce que tu refuses mon amitié.

Et ça, c'est ma phrase la plus longue de la journée. Trois records d'un coup.
J'ai envie de parler. Je ne suis pas désolé. Et je parle sans vouloir m'arrêter.
Sabre le Champomy Chuck, si tu veux bien de moi, et célébrons chez Ikéa.
Allez, je t'en prie, laisse-moi entourer la date d'un jour béni. Donne-moi ta main.

Bah merde alors, je voulais te voir crier moi !

Ouais, ça n'arrivera pas. Merci quand même, j'apprécie l'attention.
Mais c'est pas demain la veille que je pousserai une gueulante, moi.
Je sais pas les faire, ces choses-là, non je ne sais pas hurler sur les toits.
Il faudra m'apprendre un jour, à m'époumoner jusqu'à en crever.
Crier si bien que la vie s'en va avec mon souffle, s'accrochant à sa botte.
Ne plus avoir rien en reste, si ce n'est le sentiment que tout va mieux...
Ouais, il faudra définitivement que je hurle, un jour. Pour rien, pour tout.

Pour mes parents, pour ma grand-mère, pour Sofia et pour... moi ?
Non, pour les morts et mon amour seulement, j'hurlerai pour tout.
Exorciser le mal par les mots ce n'est pas mon truc, alors je tue les mots.
Rien de mieux qu'un hurlement de chien enragé pour massacrer tout ça.
La haine et le chagrin fuiront devant le râle d'un cabot qui n'a rien à perdre.
Dites-moi que ça marchera... Que tout le mal disparaitra avec ma voix ?

Et comme s'il lisait mes pensées, Chuck pose sa main sur mon épaule.
J'ai l'impression qu'il est à lui plus qu'à moi, cet endroit-là. C'est con tout ça.
Mais parce qu'il arrive à apaiser toutes mes conneries d'un geste, c'est là.
C'est surement ça, je ne vois rien d'autre. Il connait un truc qui m'échappe.
Je suis pourtant le mec tactile, moi, et je pige pas le secret de l'épaule magique.

Je ne vais pas foutre dehors un de mes rares amis, quand même !

Amis, alors ? Wow... c'est aussi improbable que c'est réel, ce sentiment-là.
Je le connais depuis quoi... moins d'une heure ? Et nous voilà amis, sérieux ?
J'y crois à mort, à cette histoire-là qui n'a rien d'une blague, j'y crois, j'y crois.
Qui le premier a décrété qu'une amitié mettait des années à naitre vraiment ?
Ce mec est peut-être plus con que moi, si possible, parce qu'il a tout faux.

Il m'a insulté, ce putain d'ami, il a dit de moi que j'étais le voleur que je suis...
Tout de suite, le premier regard, il a vu qui j'ai été et ne cesserai jamais d'être.
Il est fort, Chuck. Il a lu mes traits fatigués qui ne dormiront pas mieux ce soir.
Direct, sans préavis. Paf, dans la gueule de Charlie ! Et finalement, c'est son ami.
J'aurais du mal à croire ces mots, même les ayant par écrit... C'est revigorant.
Mon second souffle pourrait aussi bien porter son nom, ce serait légitime.

Mais... ah quel perdant je fais là, sérieux... Quel est son nom, à mon souffle ?
Okay, je sens que tu es mon ami, jusqu'au fond de mes veines, je le sais mais...

- J'me sens d'humeur pour une virée à Ikéa, moi.

Et puis merde, je regardai sur la boite aux lettres en sortant.

Chuck sourit. J'ai aucun adjectif à ajouter, la vérité est avec lui. Chuck... sourit.
Et tout ça me suffit, il est bon comédien le seigneur. Bon médecin, le soigneur.
Son visage illuminé pourrait être le livre de ma marche à suivre. Fais comme lui.
Chuck se lève et mon sourire se perd comme l'écho qu'il est finalement devenu.

Il me tend la main et un univers s'y accroche, virevolte entre ses lignes, me nargue.
Ses doigts d'écrivain, ils attendent quoi de moi ? Je n'accepte pas le repas du condamné.
Je regarde le visage de Chuck, la main de Chuck, la vie de Chuck... j'overdose.
Paume offerte et regard scintillant, dites-moi que ce n'est qu'une promesse d'enfant.
Je jurerais qu'il essaie de m'acheter une conduite, d'effacer mes dettes de con vivant.
On l'aide à le relever, se demandant s'il sera capable de marcher, on parie pour peu.

- Allons conquérir Ikéa, Charlie.

Ouais, faisons ça. Essayons seulement de pas se marrer à cette seule idée.
Charlie... acheter. Ma gorge avare de cris se tord pour mieux m'emmerder.
Je lui dirais à quel moment de la journée, que j'ai pas de fric à jeter ?

Et puis il ne sourit plus du tout lorsque mes yeux se posent pour la énième fois sur lui.
Je ne calcule plus sa main et me demande si elle aura disparu, elle aussi.
Épuisé de ne pas pouvoir mentir, j'attends qu'il se lasse de mes caprices.

- Tu survivras à un autre tour en limousine ou pas ?

Le soulagement étire mes lèvres et la nausée flirte avec elles. Allez comprendre.
J'veux pas retourner travailler, j'ai pas envie de perdre une autre journée.
Arrête le temps et enferme-moi dans ta prison sur roues. Promis, je vivrai.

Et puis merde, tant qu'à agir en orphelin capricieux, autant s'enfoncer dans la connerie.
J'attrape la main de Chuck qui n'avait finalement pas bougée, la serre pour l'étouffer.
Finalement elle survit aussi tandis que je ne puise pas dans ses forces pour me lever.
J'ai envie d'une bagarre, là, à le regarder. L'envie soudaine de me battre au sang.
Mais ça passera, ça passe toujours. Expression d'une envie de le connaitre mieux.

Je jette un œil sur la limousine et ses nombreuses vitres teintées.

- Si tu la conduis, j'te promets d'essayer.