Mes petits pieds sont au bout de des échasses, cachés sous des rangées de tulles. Mes insécurités sont bien enfermées dans ma cache thoracique, et j’ai jeté la clef au vent. J’ai peint sur mon visage des lèvres rouges, vivantes et mordantes. J’ai plaqué ma peau de porcelaine d’un peu de poudre blanche, histoire d’être éternellement jolie. Un corset comprime mes os et cache le vide au creux de mon ventre. Et si pour ce soir, j’étais comme avant. Légère et intacte. Enroulée de tulle, je semble glisser contre le béton. On s’émerveille sur mon passage, alors que le vent joue avec les plumes qui se dégagent de mes cheveux. Ça me fait sourire, sous mon masque, d’être merveilleusement mystérieuse. Une demoiselle sortie d’un autre temps. Une Lady aux sourires charmants mais au cœur de glace. Je serai celle qui se joue des impotents, celle qui attire les regards des ignorants. Regardez-moi être celle que je ne suis pas, alors que le nouvel an effacera tous les maux passés. Je pousse la porte d’un endroit que je connais pour n’y avoir passé qu’une seule nuit. Mon instinct efface toutes traces de cette pensée, de ce souvenir. Je ne suis ici que pour danser, boire et rire. Une invitation mystère, de quoi susciter ma curiosité. Je n’avais rien de mieux à faire, de toute façon.

Mon coeur se débat, à l'idée d'être reconnue sous mes grands airs et ma grande robe. Je fuis encore mes blessures, les enroulant de satin, les enjolivant de rouge. Me poussant à sourire, à voir la beauté dans le béton armé. À grandir plutôt que de régresser. Alors mes pas sont solides lorsque je pousse la porte de l'hôtel, n'ayant pas réalisé avant que j'y ai déjà passé une nuit. Une seule, une de trop. C'est un autre jour, une nouvelle année, et pas même Chuck ne pourras gâcher ma soirée. Légère comme un ange, divine comme jamais, un sourire coincé au bout de mes lèvres. Regardez-moi sourire, le temps d'une nuit, des étoiles dans les yeux et rien d'autre que les plus beaux mensonges que je peux imaginer. Regarde tes espoirs se faner dans la pénombre d'une cage d'escalier.

L'ascenseur s'ouvre devant moi, prêt à me diriger vers les festivités. Je me laisse emporter par les costumes qui m'entourent, par l'air qui sent la fête. Je m'enflamme un peu, sous mon masque. Je choisis une porte au hasard, celle où l'anonymat est requis. On m'offre un verre à l'entrée. Je ne demande pas ce que c'est, j'en prends une grande gorgée et laisse mes soucis s'envoler en fumée. Je tourne sur moi-même, la tête dans les nuages, imperméable à ce qui m'entoure. J'ai envie de rire, comme ça ne m'était pas arrivé depuis longtemps. Je termine mon verre et le dépose quelque part, hallucinée, un peu perdue, mais tellement libre. Rien ne me retiens ce soir, je me laisse aller. Regardez-moi danser. Et puis non, j'ai besoin de m'alcooliser pour planer encore un peu. Je ne sais plus ce que je demande, mais je me retrouve avec un verre entre les mains. Ça ne fait que commencer. Je ne sais pas si je devrais avoir pour ou l'apprécier, mais j'ai l'impression de me retrouver.

Ma fête bat son plein, tout est parfait. Le monde se doute un peu, je crois, que tout cela vient de moi. Seul pour le jour de l’an ? Je l’ai tout simplement refusé, alors je fais un retour, un retour dans le monde d’avant. Dans ma vie d’avant. Un petit quelque chose qui incite les gens à venir se complaire dans cette sorte de luxure que je créer, ce petit univers où le monde ne se rend pas compte qu’encore une fois c’est moi qui décide.

Un verre de champagne à la main, je regarde les gens autour de moi, ne les vois pas, je ne sais même pas qui se trouve ici, les invitations sont juste parties. J’avais envie de prouver que j’étais encore capable de faire quelque chose qui me ressemble. Montrer qu’une femme ne peut me changer. Je n’ai pas envie de changer d’année, me dire que ça y est, l’année de la mort de mon père est finie.

Mon verre ne se vide pas, la première gorgée avait un gout trop amer pour moi. Les souvenirs de cette année se mélangent dans mon esprit, je ne sais plus où j’en suis. Je refuse que l’année se termine comme je refuse trop de chose. Je vais revendre mon hélico, mon jet-privé, ma limousine et toutes les autres choses que je possède. Mon manoir en dernier, je veux avoir le temps de pleurer.

Je me joue un mélodrame personnel, et perdu dans un des chambres que j’ai fait décorer, je m’approche du bar afin de changer mon verre de champagne contre un verre de whisky. J’en oublie même que j’ai un loup sur les yeux, comme cette personne fourbe que j’ai été, je ne sais plus ce que je veux, accouder au bar où j’attends mon verre, je la vois arriver sans qu’elle me remarque, comme une enfant émerveillée. Enfant qu’elle n’est pas. Mon cauchemar éveillé. Mon pire démon. Ennemie.

J’attrape enfin mon verre, et le bois d’un trait. M’approche d’elle, même déguisée elle est celle que je reconnaitrais partout ailleurs, au milieu du monde entier. Parce que j’ai trop appris à la haïr, la détester. Une chienne qui a partagé un temps ma vie, pardonnez-moi pour mon langage, la rancœur empli mon cœur. Je ne veux pas la voir ici.

- On n’a pas de cavalier aujourd’hui ?

C’est parti tout seul, pars de mon monde. Je n’ai pas envie de plus t’abimer, les bonnes résolutions, tu connais ?

Les costumes et les merveilles me font tourner la tête. Je suis Alice aux pays des merveilles. La même Alice qui a bercé mon enfance, celle vers qui je me tournais quand les cris de mes parents devenaient assourdissants. Celle qui m'abritait chaque fois. Je caressais son visage de statue, me disant que moi aussi, je me transformerais en pierre, plutôt que de grandir. Le monde qui m'entoure est brillant. Sous des airs de satin se cache les vices humains. On ne peut pas échapper aux autres, encore moin à soi-même. Ce soir, cette nuit, j'ai laissé la petite Amber à la maison. Celle qui a mal parce qu'elle s'est fait piétiné le coeur. Comme une gamine, elle n'a pas écouté ce qu'on lui a dit. Tous les signes étaient là. C'est sa faute, elle le sait. La petite Amber restera un gamine, alors que moi je vais m'envoler là ou elle n'a jamais rêvé d'aller.

Ce qui m'entoure, je le connais trop bien. Ces déguisements, ces faux-semblants. Cette gloire de la beauté et de la jeunesse. J'y ai trop cru. Ça n'est pas grave, c'est simplement souffrant. Mais pas ce soir. Je suis un papillon qui partira vers le ciel. Mes pieds ne touchent plus le sol, on est probablement milles lieues sur terre. Quelque part dans une tour, dans un autre monde. Dans ce monde là, rien ne me touche. J'ai le coeur légé, faute d'être réparé. Et si je souriais, un peu, pour voir.

- On n’a pas de cavalier aujourd’hui ?

Je reconnaîtrais cette voix parmi toutes les autres. Je ferme les yeux, mon coeur en travers de la gorge. Je refuse d'entendre les mots. M'a-t-il vu au mariage, avec Andrew, parce que moi je l'ai vu lui. Je n'ai rien dit, j'ai détourné les yeux. Il n'allait pas gâcher tout ce soleil, Il n'allait pas me faire tomber plus bas, je me le suis juré ce jour là. Je ne laisse pas son nom passer mes lèvres. Mon coeur bat plus vite. Je réalise avec tristesse que c'est ce que j'aimais chez lui, cette façon de me faire sentir vivante, de tourner la vie en grande aventure. Rien n'était banal avec lui, j'avais toujours la tête qui tournait à cent milles à l'heure. J'aimais les jeux et cette façon de ne jamais être sérieux. J'aimais qu'il ne m'aime pas, contrairement à tous les autres.

Toutes ces pensées qui saturent ma tête, je les laisse filer, sans les analyser. Voilà, je suis jeune et stupide, c'est comme ça qu'on me voit, pourquoi changer. Je continue de planer sur la bonne humeur que j'ai allumée en posant les pieds ici. Je ne prendrai que le bon ce soir, je laisse le mauvais aux âmes en peine. Je me retourne, bien enveloppée dans mes histoires et dans mes costumes de petite fille. Toujours aussi grand, le Chuck que j'aimais tant.

- Je n'en ai pas besoin.

Je me joue de notre passé, des histoires qui m'ont blessées. Dis-moi que ça n'a pas existé, que je l'ai imaginé. C'est dans ces moments là, qu'on voudrait être à toute épreuve. Parce que passer du temps avec lui, ça m'a rendue d'acier. J'ai troqué ma porcelaine contre un métal. J'imagine qu'on ne se connaît pas. Que c'est un nouveau jeu. Le monde nous appartient. La nouvelle année nous attends. Personne n'est à l'abris des mirages de cet endroit. Maintenant que j'y pense, l'univers étrange dans lequel je me trouve est signé Chuck. C'est peut-être pour ça que je m'y sens aussi légère. Souvenirs d'un autre temps. Un avant ou je n'étais pas brisée.

- Mais peut-être devrais-je me mettre à la recherche d'un chasseur, le grand méchant loup rôde dans les parages.

Sans vraiment y croire, la petite Amber laisse échapper un rire d'enfant. Celle qui croyait aux histoires. D'Alice au petit chaperon rouge. On passera aussi par la belle et la bête. Je ne sais pas quel visage aura mon chasseur, mais mon prince aura celui d'Andrew. Peu importe les atrocités que Chuck balancera à mon intention, il ne pourra pas changer les faits. Quelque part, Andrew pensera à moi, lorsque le nouvel an sonnera.

J'essaie de ne pas poser mes yeux sur elle, parce que je sais que je n'ai qu'à cligner des paupières pour me souvenir de tout. Son corps, ses courbes, ses yeux, sa peau, son cœur. J'en pince mes lèvres comme se pince quelque chose à l'intérieur de moi. Je l'ai trop fait souffrir et ce soir que je voulais changer de personne, tenter un nouveau Chuck ? Je me dis que je ne pourrai faire autrement que ce que je fais d'habitude. Avec Aurore, c'était simple, parce qu'elle n'avait aucune idée du monstre que j'étais. Mais Amber ? Elle connait mes vices et mes secrets, et c'est la seule qui peut s'en vanter. Dieu que je la hais.

- Je n'en ai pas besoin.

J'ai envie de rire pour la blesser un peu plus. Lui faire comprendre qu'à l'évidence sans personne pour la sauver, pour lui sortir la tête de l'eau, elle coule, encore plus vite que le Titanic. Et derrières ses airs de filles parfaites, de femmes enfants, comme son reflet, je sais de quoi elle a souffert. Je sais, comme elle le sait, c'est pour cela que je ne pourrai jamais l'aimer, pour cela que je ne pourrai jamais lui dire ce qu'elle attend de moi, ce qu'elle a toujours attendu. Ce qu'elle attend toujours caché derrière cet homme qu'elle n'aime pas. Les mots Je t'aime ne sortiront jamais de ma bouche, et c'est ce qui te bouffe.

T'as besoin d'un cavalier pour essayer de te convaincre que tu m'as oublié. T'as besoin de ça pour te sentir vivante, exister. J'aurai aimé le rencontrer celui qui a l'air d'un illuminé, d'un mec qui vient d'ailleurs sans savoir pourquoi tu le traine partout. T'as laissé le toutou chez toi ? T'as bien fait crois moi, parce qu'après une discussion avec moi, il t'aurait fuit comme on fuit la peste, une foutue maladie. Ouais, c'est ça, c'est l'urticaire que tu donnes et j'ai hâte de te voir une fois que le monsieur l'aura remarqué. Brisée encore une fois, un peu par lui, beaucoup par moi.

- Mais peut-être devrais-je me mettre à la recherche d'un chasseur, le grand méchant loup rôde dans les parages.

Son rire me répugne autant que son apparence. Je me demande comment j'ai fais pour être autant proche d'elle qu'on peut l'être avec une femme. Je me demande, oui, c'est vrai ... Je me dis aussi que ça aurait pu marcher si on était resté sur les bases de notre relation. Le jeu et le mensonge. Mais non, il a fallu qu'elle en veuille plus, les filles sont comme cela il faut croire. Elles aiment naviguer dans un n'importe quoi où elles se pensent être aimée. J'aurai pu ne pas être méchant, j'aurai pu ... Mais voilà, mon père est mort, moi avec lui, et elle a cru que c'était elle qui allait me ramener à la vie.

Je ne m'attarde même pas vraiment sur ses mots. Je suis le méchant loup, elle le sait, je le sais, le monde entier le sait. Mais putain, je suis un méchant loup vraiment riche et vraiment puissant. Et un méchant loup qui l'attire toujours dans ses filets. Parce qu'on ne va pas se mentir, elle savait que cette fête partait de moi. Elle connait comment je fonctionne. Et sait que je veux finir l'année en beauté et tout oublier.

- Pourquoi t'es venue te perdre ici, si tu n'as pas envie de te faire bouffer ?

C'est si simple et si compliqué à la fois. Le passé ne s'efface pas. Il reste incrusté sous les ongles, sous la peau. Les erreurs et les chutes ne peuvent rien changer aux désirs du coeur. Après tout ça, le plus beau, c'est que j'ai toujours un coeur. Jamais je ne serai l'égale de Chuck. Je peux prétendre à ses jeux, mais jamais assez longtemps. De le revoir, j'ai le coeur lourd de tout ce que je ne lui dirai jamais. Il est celui qui a su me montrer que j'étais toujours vivante. Que le papier glacé ne m'avait pas figée. Avec Chuck, ça n'était pas tout mauvais. Il y avait du bon, quelque part qu'il jure n'existe pas. Mais ça n'est pas bien grave, je ne veux plus être celle qui vas le sauver. Je comprends qu'il ne pouvait pas m'aimer, que c'était hors de sa portée. Ce que je ne comprendrai jamais, c'est sa main contre mon poignet. Ce que je ne pardonnerai jamais, ce sont les bleus sur ma peau. Personne ne mérite ça, pas même celles qui se croient toutes petites.

J'ai mis longtemps à accepter que ça n'était pas de ma faute, que ça n'était pas à cause de moi. J'avais en tête, la sordide idée que j'y étais pour quelque chose. Quelque chose que j'ai dit, quelque chose que j'ai fait. Cette sensation de ne jamais être assez bien ou assez forte. Je réalise maintenant que je vaux mieux que ça. Le grand Chuck ne mérite pas mon grand coeur. J'aime comme une enfant, sans me poser de questions. Il y a quelqu'un, ailleurs, que ça ne gênera pas. J'espère que ce quelqu'un est Andrew. Il a été là, il a tout vu, et il est encore dans ma vie. Ce que je ressens pour lui, c'est doux, tendre. Ça ne me déchire pas en deux, ça ne me fais pas souffrir. Et ça fait du bien, tout simplement.

- Pourquoi t'es venue te perdre ici, si tu n'as pas envie de te faire bouffer ?

Je soupire, entre deux lèvre closes. Mes yeux croisent les siens sans s'y arrêter. Moi qui avait tant redouté de le revoir, je me surprend d'être si calme. Je ne peux qu'être d'accord avec lui. Il a raison. J'ai toujours su que cette soirée était signée Chuck. Je le sentais jusque dans mes veines, mais j'ai pas eu le courage de me l'avouer. Parce que s'aurait été un pas en arrière de simplement vouloir le croiser. Jamais je ne serai indifférente à lui, il a trop eu entre nous. Trop de non-dits, trop de « Et si . . . », trop de beaux moments où il m'a fait oublié que je n'étais qu'une poupée qui vendait son image aux plus offrants.

« Pourquoi est-ce qu'on se retrouve chaque fois, alors qu'on jure se détester ? »

Ne t'en fais pas, je peux aimer et haïr à la fois. Mais je me suis jurée de te laisser aller. Pourquoi suis-je venue ? La vraie question est : Pourquoi m'a-t-il invitée. Pour voir si j'allais venir, pour se prouver qu'il n'en avait rien à faire. Je ne sais pas et je ne poserai pas la question. Chuck a beau ne pas m'aimer, il y avait quelque entre nous. Je me perds dans mes souvenirs, certaine qu'il risque de tourner la situation à son avantage. Pourtant, la vérité s'impose à mes lèvres. Il n'y en a qu'une. La seule raison qui me pousse à la déraison.

« Pour oublier que les gens sont ennuyants »

Parce que même si ça fait mal, la présence de Chuck fait des vagues. Il ne laisse pas indifférent. Aucuns égards, aucunes excuses. Je ne dis pas qu'il me manque, j'oublie simplement pourquoi je le déteste. Ça me reviendra, j'en suis certaine. Dans quelques secondes, il se montrera détestable, voir cruel, et peut-être que j'aurai envie de pleurer, peut-être que j'aurai envie d'en rire. Tout ce que je sais, c'est que j'ai bien fait de venir ce soir, peu importe la fin de la soirée.

Je n'ai pas envie d'entendre à nouveau sa voix. Je regrette à moitié d'être aller lui parler; J'aurai du faire venir la sécurité, qu'elle soit virée de chez moi, ou tout de moins de cet étage d'hotel que ce soir j'ai loué. Je me demande pourquoi je n'ai pas précisé que je ne voulais pas la voir ici quand les invitations ont été envoyé. Je réfléchis, creuse mon esprit, mais la solution ne veut pas venir à moi et je ne peux pas me résigner à me dire que je désirai qu'elle soit là, inconsciemment, s'entend, n'est ce pas ?

« Pourquoi est-ce qu'on se retrouve chaque fois, alors qu'on jure se détester ? »

Si je disais que je n'en ai aucune idée, peut être que je mentirai. On se retrouve à chaque fois parce que tu es mon souffre douleur préféré. C'est tellement simple avec toi de se sentir supérieur, parce que tu as voulu m'aimer et que je suis incapable de te rendre en retour ce drôle d'amour. On se retrouve parce que tu aimes ça, et que tu ne pourras hurler le contraire à personne d'autre. Pour exister ? Putain, t'as tellement besoin de moi.

« Pour oublier que les gens sont ennuyants »

Cette fois ci je ne me retiens pas, j'aurai pu c'est vrai, encore une fois, prendre ces drôles de pincettes que je prends avec elle depuis le début de cet échange étrange qu'on fait semblant d'avoir. J'explose d'un rire grand, je la regarde tout en riant encore. Et je jure que c'est plus fort que moi, que c'est en moi, mais quand je suis devant quelqu'un comme elle, je mords.

Je ne supporte pas son odeur, son apparence, et ses mots qui puent le fond de son cœur. Elle souffre de mon manque comme elle respire, comme elle ment. Et si dans son monde les gens sont ennuyants, c'est qu'elle n'a pas su bien jouer ses cartes. Il fallait choisir l'As et non le Valet. Pourtant, j'étais persuadé qu'elle savait comment je fonctionnais. Comment je fonctionne toujours, j'suis trop doué en étant solitaire, pourquoi j'aurai voulu être accompagné ? Que Lexie me pardonne, mais elle aussi, j'ai juré, de ne jamais l'aimer.

- A croire qu'ils déteignent sur toi.

Les gens ennuyants, évidemment, parce qu'elle navigue au milieu d'eux, parce que je ne supporte pas lui parler. Parce que ouais, l'amour c'est tellement chiant. Et je cracherai à son visage des milliers d’obscénités si c'est ce qu'il faut faire pour lui faire comprendre que c'est terminer, mais que putain, elle ne m'oubliera jamais. Jusqu'à la fin, je la torturerai. Et je ne suis même pas désolé.

J'ouvre les yeux, certaine qu'il m'arrachera le coeur d'une remarque assassine. On ne refait pas le passé, pas plus qu'on ne recolle la porcelaine sans en voir les fissures. Les lèvres de Chuck s'étirent dans un sourire que je ne connais que trop bien. Une fièvre m'emporte la raison lorsqu'il laisse échapper le plus monstrueux des rires. Ça n'est pas grave que je me sentes défaillir. Ça n'a pas d'importance qu'il puisse toujours déchirer mes sourires d'une larme. Les échos de son rire tremblent jusqu'à mon ventre, affamé de son attention. Depuis tout ce temps. Je croyais avoir grandis. Avoir laissé derrière moi ces jeux d'enfants où il entortille mon innocence autour de son petit doigt. Je croyais bien des choses qui se révèlent maintenant fausses. Faut pas perdre espoir. Un jour j'aurai raison d'accorder ma confiance, mon coeur et mes espoirs. Les secondes filent autour de ce qui aurait pu être une réunion digne de ce nom. J'avais autrefois un titre, une permission spéciale, une exception pour être à ses côtés. Je suis tombée en disgrâce, voilà qu'il rit des simples gens, des petites filles.

Ne t'en fais pas, Chuck, tu n'as rien perdu de ta grandeur. Ton rire et ta condescendance écrasent lentement les souvenirs glorieux que je t'avais construits dans mon esprit. J'avais oublié que tu étais intouchable. Tu l'es toujours, plus que jamais, derrière le mur de tes yeux sombres et de ton coeur de pierre. Mais la terre continue de tourner. Sans toi, les jours se sont succédé, et j'ai réappris à aimer. À m'aimer moi, un peu. À aimer quelqu'un d'autre. Un homme à qui tu n'arrive pas à la cheville. C'est triste à dire, mais j'aurais aimé l'avoir rencontré avant toi, sachant très bien que je ne serais pas la même, aujourd'hui.

- A croire qu'ils déteignent sur toi.

À mon tour de rire. Un souffle doux, peut-être nostalgique. Un rire tendre. J'aurais pu prédire le commentaire mesquin, blessant. Je te connais un peu plus que tu ne le voudrais, Chuck. Peut-être que ma peau de porcelaine a lentement mué en armure, parce que ça ne me touche pas, ça ne me fait pas mal, pas vraiment.

J'inspire un air nouveau, une mélodie que je ne connais pas encore. La situation est grandiose. Un coup de maître de la part de l'égoïste diable qu'a toujours été Chuck. Il est celui que j'ai aimé un peu trop, mais c'est fini, parce qu'à cet exact moment, je suis libre. Le grand méchant loup git ventre ouvert, alors que je m'extirpe de ses entrailles. Tu n'a plus d'emprise sur mon corps ou mon coeur. Je suis plus forte que ça, je le sais, si tu ne le sais pas.

« Peut-être. Et alors ? »

Peut-être que je vais rechuter, lorsque le ciel tourneras gris et que je me perdrai dans les histoires d'un passé que je n'ai jamais su contrôler. Mais pour maintenant, ça ne me fait rien d'être ennuyante. C'est mieux que d'être brisée à dépasser son quota de larmes pour toute une vie. Rien ne sera plus aussi facile qu'avant, parce que je suis maintenant consciente d'où je vais et de qui je suis. Je n'ai plus le loisir de ne pas penser, de me laisser porter. Qui sait si je ne serai plus jamais quelqu'un d'important. Si mon visage aura perdu sa place sur les panneaux publicitaires et le papier glacé. Ce qui est ironique, c'est que tout ce qui avait tant d'importance avant, n'en a plus maintenant.

Mordillant ma lèvre, je me rends compte que je n'ai plus rien à lui dire. Je me suis sevrée, pour réaliser qu'on a plus rien en commun, si ça a déjà été différent. Tout ce que je sais, c'est que malgré tout, je suis contente d'être venue. L'atmosphère est envoûtante et j'avais besoin de la distraction. Les fêtes sans sa famille, ça rend cinglé, ça rend triste. Alors ça me fait plaisir d'être ici. Parce qu'au fond, je ne crois pas que je pourrais détester Chuck plus qu'il ne le fait lui-même. Ça n'est peut-être qu'une fausse idée, mais après quelques horribles mois à me haïr, j'ai l'impression de le voir plus clair qu'avant. Ne t'en fais pas, Chuck, je ne dirai rien. J'ai appris ma leçon.