Elle est ainsi telle que je la préfère. Déserte, dans la luminosité faible de la nuit naissante. Seuls mes pas laissent des empreintes dans le sable épais de cette plage. Je me laisse tomber à genoux, et enfouit mes paumes dans le sol, avant de laisser échapper les grains de sable dans un long filet jaune, pareil à la fuite du temps dans un sablier.
J'ouvre grand mes mains vides, puis me met pieds nus, avant de saisir mes baskets à la main, pour marcher plus près de l'eau. Le sable humide est gelé, mais je m'habitue lentement à la température, pour ne plus sentir que l'agréable, cette sensation grisante au bout de mes pieds. Plus rien n'a d'importance.
Je ne pense pas au bas trempé de mon jean déchiré, qui me gênera, plus tard, quand je serai revenue à la réalité. Je pense pas aux grains de sable humides qui le colleront, ni à la sensation désagréable que j'aurai en remettant mes baskets. Je me sens bien.
Une seule chose pourrait me sortir de cette rêverie, pour me faire plonger dans une tout autre addiction. Une seule personne, pour être précise. L'homme de ma vie... Mais je l'efface, rien qu'un instant de mes pensées, et m'efforce d'éclater de rire.
Riant à gorge déployée, je cours jusqu'à en perdre haleine le long de la plage. Une source avec les vagues, rien que ça. Et plus le souffle me manque, plus le rire me vient naturellement, et plus la lune semble se refléter dans l'eau sombre.
Ma course se finit quelques minutes plus tard, lorsque je m'étale de tout mon long, après m'être cognée contre une silhouette, qui tombe également, n'ayant pas pu me retenir dans ma chute. La vision éclair de son visage m'enchante, et je ne prends pas la peine de me relever.

- Je ne t'ai pas fait mal ?

Je me déplace de façon à pouvoir caresser doucement son visage.

Amy ? Pourquoi tu es avec moi ? Je veux dire

Mes doigts dans ses cheveux s'attardent au même rythme que ses mots qu'il laisse en suspens. L'atmosphère semble se figer autant que les battements de mon coeur qui soudainement, s'effraient pour s'emballer de plus belle.

Je ne te mérite pas une miette. . .

Mon amour semble différent. Quelques jours seulement se sont écoulés, mais la lassitude que je lis dans ses yeux semble s'être installée depuis toujours. C'est seulement à cet instant que je finis par me demander ce que la vie a fait de lui.
Je ne sais que dire, ni que faire. Comment faire passer par de simples mots ce que je ressens. J'avais tellement peur qu'il me quitte... Je me laisse doucement retomber à ses côtés et me blottit contre lui.

- C'est pas... Je ne sais pas l'expliquer... C'est comme ça, c'est tout...

Je contemple un instant le ciel, et cherche doucement sa main. Dans un souffle, je murmure à moi-même:

- Parce que c'est toi.

- Ça n’est pas une raison. Tu. . . Je .
. . Avec tout ce que j’ai fais . . . Je ne suis pas le genre de
personne avec qui tu devrais être. . .

Je me redresse, lève les yeux au ciel, fixe les dernières lueurs du jour, ultime solution pour ne pas mouiller mes yeux. Et puis je m'en fous. Il ne voit que mon dos, je n'ai qu'à pleurer en silence. Les larmes coulent le plus tranquillement du monde, et je m'efforce de rester calme.

- Et avec qui je devrais être ?

J'ai mal au plus profond de moi. Un goût amer s'installe dans ma bouche: je suis trahie, rejetée, et malgré tout, je l'aime. Pourquoi pense-t-il savoir mieux que moi la personne qui me convient le mieux ? Peut-être cela l'arrange-t-il de me laisser...
Assise sur le sable, je fixe l'eau qui commence à s'assombrir avec la tombée de la nuit. Juste une étendue noire, que j'imagine glacée. L'enfer après le froid. Je frissonne au souvenir de la fameuse nuit au cimetière, après avoir rencontré Charlie et Sarah... J'y avais déjà pensé. Et malgré moi, mon regard y revient sans cesse. L'eau m'attire, m'hypnotise, telle une promesse de délivrance. Je cligne fort des yeux pour chasser cette idée.

- Je t'aime. Tu comprends, ça ? Ou tu cherches juste à me quitter ?

Ma voix est froide, implacable et maitrisée.

- Tu regrettes d'avoir couché avec moi... ?

Pas pour longtemps.
Son mutisme me met hors de moi. Je me retourne violemment et hurle, et pleure à la fois en le frappant du peu de force que j'ai.

- TU COMPRENDS ? MAIS MERDE, REPONDS ! EST-CE QUE TU COMPRENDS ?

Un simple mot, crié, et tous mes espoirs se brisent, avec tous mes rêves de bonheur, de "nous vieillirons ensemble" et d'autres fadaises trop naïves pour être réalisables. Je lui étais simplement tombée dessus, et voilà que l'ange se retrouve anéanti, brisé par un unique mot. Oui. Oui, il comprend que je l'aime. Alors quoi... Je le quitte et c'est bon ? Comme la preuve la plus flagrante que je n'aurais pas su garder l'homme de ma vie plus de deux semaines. La vie est moche.
J'ai le souffle coupé, et je reste face à lui, incapable de prononcer le moindre mot. J'ai envie de partir: j'ai honte qu'il me voie dans cet état.
J'ai honte que tu me voies comme ça, les joues rouges, les yeux brillants, les cheveux décoiffés. Honte que tu me voies que cette façade, sans sentir le reste. Ni le malaise au creux du ventre, ni même la douleur sourde à la poitrine, le noeud brûlant à la gorge, et la morsure autour des yeux. Mais malgré l'envie, je ne partirai pas. Non, je suis trop faible. Trop amoureuse pour te quitter. Alors je resterai ici comme une belle idiote incapable de faire un choix, dans l'attente de ton verdict. Comme une meurtrière avant son procès dont elle connaît le verdict: la mort...

- Bien...

Oui. Tu me brises.
Oui. Je m'effondre.

- C'était les plus beaux jours de ma vie.

Oui. Tu peux faire ce que tu veux de moi.
Mes mains s'enfouissent dans le sable désormais froid, comme pour m'enterrer. Mes pieds suivent le même chemin. Dos à lui, je ne le regarde plus. Ma tête vient trouver du réconfort au niveau de mes genoux qui l'accueillent.

- Je t'en veux pas... Malgré tout, j'y arrive pas. T'y es pour rien.

Je veux dormir. Il paraît que ça va toujours mieux après.
Je veux dormir pour ne plus y penser.
J'aurais voulu mourir si j'avais eu le courage.

- C'est moi... Faut du courage pour m'aimer.

Un haussement d'épaules, suivi du courage inhumain de me lever. Ne surtout pas le regarder.

- Je... Je sais pas si je suis prête à revenir à comme c'était avant. Pas maintenant... Donne-moi un peu de temps...

Ma voix est suppliante. Ridicule. Et, comble de mon échec, je me retourne vers lui. Mes gestes n'obéissent plus à mes pensées, mais à mes désirs. Lentement, comme si je risquais de le brusquer, je m'agenouille. Mes lèvres se déposent tendrement là où elles auraient dû atterir bien plus tôt. C'est doux.
Je recule, prise en faute, avant qu'il ne me repousse.
Un dernier regard. Pathétique.

Je ne comprends plus. Et je m'en fous. Son étreinte m'arrache à ma solitude. Pourquoi chercher à comprendre, je suis trop lasse pour cela. Aussitôt, je réponds:

- Je reste...

Le baiser qui suit est merveilleux. Il n'a pas le même goût que les précédents. Je l'embrasse comme si c'était la dernière... non. La première fois. Je me retrouve une fois de plus sur le canapé du salon de Shawn, à goûter ses lèvres.
Plus rien n'a d'importance. La raison voudrait que je profite de ce moment pour analyser la situation. Je n'ai pas le courage pour le moment, autant choisir la facilité. Je me laisser aller au creux de ses bras, tandis que les battements de son coeur me bercent doucement.

- Laisse-moi t'aimer, Shawn. S'il te plaît...

Je sais que tu me connais mieux que je ne peux te percevoir. J'accepte. Je sais qu'il y a certaines choses que tu ne me dis pas. Je ne veux pas d'explications à tout prix. Juste être avec toi. Est-ce trop demander...

Interloquée.
Subjuguée.
Mon cerveau anesthésié ne réagit plus et reste bloqué sur ces mots dont le sens m'échappe encore. Il est inconcevable. Seul le vent glacé qui me parvient directement, maintenant que Shawn s'est libéré de moi, frappe mon esprit malade. Et j'ai froid, froid parce que je suis seule. Est-ce là le sens de ses paroles ? Ne tient-il qu'à me faire perdre la tête ? J'y croyais, pensais avoir retrouvé un peu d'espoir.

Excédée.
Haineuse.
Pourquoi ? Pourquoi m'a-t-il fait ça ? Mille questions tournent dans ma tête, et aucune ne trouve de réponse. Il n'y a pas de solution miracle pour refaire le compte de chacune de mes erreurs... Et je reste là à le regarder les yeux vides, sans comprendre. Il n'y a plus rien: la seule chose qui peut encore y briller est la haine.

Je devrais le forcer à me regarder dans les yeux, l'insulter et lui cracher au visage. Je devrais le mépriser de toutes mes forces. Mais j'éclate de rire. Un rire sonore et dur que je ne connais pas... Qui est désormais mien. Mes épaules se secouent nerveusement, tandis que je contemple mes mains qui tremblent de façon trop visible.

- D'accord.

Exténuée.
Brisée.
Je m'en vais.