Mes doigts glissent contre le papier glacé d’une invitation pour les fêtes de fin d’année. Un joli carton avec des bordures dorées. Une invitation formelle à me présenter chez mes parents pour le nouvel an. Quelle idée, d’envoyer à leur fille le même message qu’à une centaine de leurs plus proches amis. Je n’irai pas, j’ai décidé. Quelle idée de me présenter, en paillette et en diamants, juste pour me faire dire que j’ai l’air d’avoir pris du poids et que cette robe ne me vas pas. Merci maman, d’être toujours brutalement honnête. Qui aurait envie de retourner à cet endroit. J’ai juré d’être heureuse, pas de me torturer durant des heures à les écouter débattre de pourquoi je suis venue seule alors que mon invitation disait plus un. Jamais je ne ferais subir à quelqu’un l’horreur d’une soirée dans la grande maison froide de mes parents. Plutôt être seule, ça vaudra mieux. Ça n’est pas si triste qu’on le croit de prévoir passer les fêtes en solitaire. Un dessin animé et une dinde achetée au supermarché. Peut-être même une bouteille de vin rouge, mais juste un verre ou deux, pour l’euphorie, pas pour l’oubli.

Mes pas sur le pavé qui résiste encore au givre se font plus lents. J’arrête finalement à côté d’une poubelle publique. On m’a toujours dit de jeter ses déchets. C’est ce que je fais. Le carton bien comme il faut, choisi par une organisatrice professionnelle, est jeté sans remords aux ordures. Un poids s’envole de mes épaules, comme si le corbeau scrutateur qu’est ma mère me suivait depuis ce matin. Tout est réglé, je passerai du temps de qualité avec moi-même.

Les magasins ont revêtu leur manteau des fêtes, scintillant de toutes parts, tellement que ça pourrait déclencher une crise chez un épileptique. Quelle idée de dépenser pour des choses aussi ridicules, mais ce serait fou de vouloir se battre contre les amoureux de noël, ils sont si nombreux que je vais leur laisser leurs petits bonheurs et me concentrer sur les miens. Vivre et laisser vivre. Je devrais même remercier Chuck, d’avoir remis mes priorités en place. Quelle idée aussi de me prendre pour un grand mannequin, de croire que j’étais quelqu’un d’important. Ça me semble ridicule quand j’y songe un peu. Perdue dans mes pensées, je n’avais pas réalisé que la circulation avait augmenté. Me voilà qui accroche quelqu’un, me croyant seule au monde. « Désolée. . . » Murmurai-je, réalisant que je suis particulièrement maladroite ces temps-ci.

Je file et défile, respire et soupire. Tiens mon ventre parce que j'ai peur que Novaly ait froid à l'intérieur de moi. Ils ont beau dire qu'elle est partie il y a des années déjà, moi je sais qu'elle est là, tout contre moi. A l'intérieur. Et si ce n'est pas dans mon ventre, je peux jurer qu'elle est dans mon cœur. Elle le sera toujours, oui, mais ils ne me croient pas. Je n'aime pas ces gens là, ceux qui disent tout savoir alors qu'ils ne retrouvent même pas leur chemin dans le noir.

L'idée me fait sourire autant que dépérir. Le psychologue a dit que j'avais maigri. Je lui ai répondu que pendant les fêtes j'allais manger des tonnes de fruit. Que le kilos reviendront. Que mes joues seront bientôt de nouveau rondes. Potelée à souhait, je peux le jurer. Mais ce n'est pas ma faute, j'ai pas le coeur à manger, j'ai beau le répété, ils ont dit que ce n'était pas normal, alors je fais des efforts. Puisqu'il le faut. Je suis bonne élève docile et assidue. Je les hais. Parce que si elle n'est que dans mon cœur, c'est à cause d'eux.

Je regarde la ville la trouve belle, me délecte des fêtes de fin d'année. Me demande et imagine comment ce sera chez les autres gens. J'imagine les dindes, les langoustes et le fois gras. Les rires, les enfants, la famille et tout ça. Je ne me plains même pas d'être seule, moi, parce que j'aime ça. J'imagine aussi que j’écrirai ce soir là, avant de secouer la tête et de ne croire en rien de tout ça. C'est n'importe quoi.

Mon esprit vacille encore un moment, suit le chemin que lui dicte mes yeux, celui des affiches, des décorations, du ciel et de la neige qui ne vient pas. Faites qu'elle tombe, s'il vous plait, juste pour moi. Et puis non c'est plutôt quelqu'un qui tombe sur moi, juste comme ça. Je souris, parce que je suis forte à ça et qu’aujourd’hui est une bonne journée, je n'ai pas envie de pleurer.

« Désolée . . . »

Je tends ma main, juste là, devant moi, parce que je veux l'aider, et parce que je veux voir autre chose que des cheveux blonds me parler. J'ai envie de me dire que les gens sont gentils aujourd'hui, et pas qu'ils fassent comme ceux qui m'ont dit de perdre espoir. Après tout, en période de Noel, de l'espoir il faut toujours en avoir.

- Mais c'est pas grave, d'habitude, c'est moi qui ne fait que tomber. Je peux le jurer. Et j'agrémente ma phrase d'un hochement de tête bien sur de lui, la main sur le ventre, protégeant toujours mon enfant perdu, ma vie qui s'est enfuie.

Et puis j’aurais pu tomber, si elle ne m’avait pas tendu la main, son souffle presque contagieux d’espoir. Je n’ose pas lever les yeux, perdue entre cette envie de n’en avoir rien à faire, et ce petit pincement qui demande ce qu’elle peut bien penser de moi, étourdie comme je le suis aujourd’hui. Ça me tords un peu les boyaux, de réaliser que je n’ai pas changé, que ça me fait toujours quelque chose, de savoir qu’on peut me détester, qu’on peut me juger sans me connaître. Je suis encore cette petite fille qui doit faire la belle en auditions pour qu’ils me choisissent et que maman m’aime encore un peu. C’est triste de réaliser que je me suis bâtie sur ça, sur ce que quelqu’un d’autre a décidé pour moi. Les gens se jugent, puis méprisent ceux qui protestent. Notre belle société bâtie sur l’apparence. Ceux qui sont beaux peuvent se permettre d’être méchants. Comme Chuck, dont le charme noir est mortel. Mais je ne veux plus être de ceux là. Mon armure est fendue, et plus rien ne me protège. Il ne reste que mon innocence, à nue. Je n’ai jamais été si vulnérable. Un traitement choc, voilà ce qui m’a été offert, à moi qui prétendais être dure comme les autres. Pour compenser mes traits adorables, je me devais d’être quelqu’un d’autre. D’être cette joueuse malicieuse. Ma confiance envolée, j’aurais du vendre mon cœur au plus offrant, plutôt que de le lancer à contre-courant, à un Chuck qui n’en a jamais voulu. Alors j’hésite à fuir, plutôt que d’affronter un regard moqueur. Quelques mots suffisent, à effacer mon doute. « Mais c'est pas grave, d'habitude, c'est moi qui ne fait que tomber. Je peux le jurer. » Je souris à travers mes lèvres closes. Je relève la tête, pour découvrir une jeune femme, les cheveux en bataille, lui donnant l’air d’une battante, ses yeux brillant d’un quelque chose d’attirant. Ma première impression est douce-amère. C’est une vraie femme, alors que je suis une poupée de plastique. Je l’envie, soudainement, de pouvoir être imparfaite. De posséder une maladresse attachante, une manie qu’on m’a supprimée à force d’éducation rigoureuse. Marcher droit, la tête haute, ne jamais tomber. Laisser les autres s’excuser. Merci maman, mais non merci.

Je me décide à un sourire désolé. J’aime la façon qu’a le vent de la dépeigner doucement. J’en viens à détester la lignée de produits capillaires sur le comptoir de ma salle de bain qui font des miens une parfaite ligne droite. Si différentes que je me dois de le souligner. « D’habitude, je peux déambuler sur des talons de huit pouces sans vaciller, je peux le jurer. » Je ne sais pas ce qu’il m’arrive aujourd’hui. Perdue dans un rien et un tout qui m’assaille. C’est étrange d’être aussi peu sure. Rien ne me semble fixé. Tout est en mouvement, alors que je ne suis même plus certaine de qui je suis. Ça ne fait aucun sens, mais parfois, je m’ennuie de qui j’étais. C’était si facile, sans efforts, d’être la joueuse de Chuck. Je me jouais de tout, de moi-même, de ma vie et de mes envies. Mais aujourd’hui est un autre jour. Je ne veux plus jamais revivre ça, je veux d’un maintenant qui ne me fasse pas pleurer, est-ce trop demander ? « Comme quoi aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres . . . » Et puis finalement, ça n’est pas si mal d’être maintenant. De rencontrer par le plus grand des hasards, un quelqu’un qui ne me ressemble pas. Parce que bien souvent, je ne m’aime pas. T’en dis quoi, d’être maintenant, le temps d’un instant.

Je ressens son besoin de moi jusque dans le bout de mes doigts. Je souris, bienveillante, maman dans l'âme j'attends, parce que je ne veux pas qu'elle fuit. Je veux qu'elle vienne à moi. Novaly et moi, on a besoin d'elle, on en est persuadées. C'est beau d'attendre et même mes yeux ne pleurent pas. C'est un progrès ça. Je le sais, je le vois. Je n'ai pas froid, ou que très peu. C'est bien ça, ils diraient les docteurs de moi. Mademoiselle Jackson vous reprenez le dessus. N'importe quoi, je vais bien comme je ne vais pas. Mais je souris, parce qu'aujourd'hui j'aide une petit souris.

« D’habitude, je peux déambuler sur des talons de huit pouces sans vaciller, je peux le jurer. »

Mes yeux doivent lui montrer ma fascination. Moi qui ne marche qu'en ballerines délavées, je dois faire tache à côté d'elle. Je soupire, me vois déjà m'effacer. Je l'ai aidé, elle peut fuir maintenant. Parce que c'est ce que les gens font avec moi. Ils pensent que je viens d'un autre monde, je les crois, ça me plait tout ça. Et puis peut être que ma fille m'attend la-bas. Oui, c'est là qu'elle doit se cacher, pas dans mon ventre. Je ne sais pas, je veux y croire pour continuer d'avancer. Je veux respirer en paix.

« Comme quoi aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres . . . »

Je fronce les sourcils, parce que je ne sais pas si je suis d'accord avec ce qu'elle affirme. Je ne m'attendais pas à ce genre de phrase là. Peut être que ma présence dérange, je ne sais pas. Je sais m'effacer quand il le faut habituellement. Mais aujourd'hui se dérobe à la règle. Ce n'est pas bien, alors je soupire. Prête en m'enfuir vers un ailleurs meilleur. Trouver la route qui me mènera à la ville où se trouve mon enfant.

Mes lèvres sont démangeaient par l'envie de lui demander si elle sait où est ce pays merveilleux qui porte son prénom. Mais ils m'ont répété, qu'il fallait que j'arrête de faire ça. Alors j'essaie, même si parfois l'envie est plus forte que moi. Je vais bien, ne t'en fais pas. Je souris, cette fois.

Relève mon regard vers l'inconnue du jour, me dit qu'elle est belle, princière. Je me sens mal d'être si loin d'elle. Je suis désolée, je ne suis qu'une romancière, une maman cassée. On m'a coupé mes ailes avant que je ne sache réellement voler. Alors même plus vieille que toi dans la réalité, je ne suis que plus petite crois-moi. Tu veux des enfants, dis moi ?

- Ou alors, peut être qu'aujourd'hui est un jour parmi tant d'autres. Ce n'est qu'une question de voir les choses.

Je vois une dizaine d'enfants qui porteront tes yeux, et qui verront mieux que quiconque dans le coeur des gens. Bon dieu, ce qu'ils seront grands, ces petits là. J'en suis persuadée, et ils me ramèneront ma poupée. Ca aussi, je le sais.

Et le vent qui se prend dans ses cheveux me donne envie d’un hiver polaire. D’une bourrasque enneigée pour nous soulever. D’un signe que quelque chose, quelqu’un, nous voit, nous entends. Les traces de mon innocence s’accrochent dur comme fer à mon épiderme, arrachant avec elles tout ce que Chuck n’a pas déchiré. Si ma peau était le reflet de mon âme, elle serait en lambeaux. Plus jamais on ne me dirait à quel point je suis belle. Tant mieux. Je n’en veux plus de ces regards cupides. De ceux qui voient en moi cette chose malléable. Cette petite fille docile qu’ils s’amusent à déguiser en femme fatale. Regarde, maman. Ce qu’ils ont fait de moi, ce que tu as commencé avant que je n’aie les mots pour te dire non. J’aimerais laisser tomber, ne plus y penser. Me concentrer sur la neige qui ne vient toujours pas, sur mon cœur que je veux réparer lentement. Sur tout le reste. Et si je disais oui à la vie, aux belles choses qui croisent mes pas. Et si elle était ici pour une raison. Et le pourquoi reste encore à découvrir.

- Ou alors, peut être qu'aujourd'hui est un jour parmi tant d'autres. Ce n'est qu'une question de voir les choses.

Je mordille ma lèvre intérieure. Et comment tu vois ça, toi ? Dans mon objectif à moi, tout est si beau que j’en ai mal au cœur. C’est brillant, aveuglant. Comme des diamants, sauf que personne n’a pensé à me dire que ce qui est trop beau est aussi coupant. Alors j’ai joué avec tout ce qui me faisait soupirer d’envie. Les armes emballées dans du papier doré. Une once de destruction et une pincée de poudre d’argent. Comment halluciner les esprits, flatter les égos, illusionner celles qui ne croient pas en elles-mêmes. Pathétique, non ? D’être enviée pour sa beauté, et d’en finir par la détester. Je n’avais pas demandé à être spéciale. Je réalise seulement que c’est tellement mieux d’être ordinaire. De n’être rien de flamboyant. Si je savais porter des jeans et des t-shirt, je pourrais être la fille d’à côté. La voisine à qui on vient emprunter du lait, pas celle qu’on espionne pour savoir si elle a ramené des copines de travail canon. Des amies, comme si j’en étais capable. J’ai assez de mal à m’occuper de moi-même, comment pourrais-je être là pour quelqu’un d’autre. C’est peut-être ridicule, mais c’est comme ça. Égoïste qu’ils diront. J’espère simplement avoir la force de ne pas écouter. Je fronce les sourcils, intéressée, par celle que j’ai envie d’écouter.

« Et toi, comment tu les vois, les choses . . . »

Est-ce que tu crois qu’on peut tout faire, que le monde tourne en rond, que deux demoiselles peuvent avoir un cœur entier, que les couleurs sont faites pour exister ailleurs que sur du papier glacé. Dis-moi . . .

Et maintenant on fait quoi ? Tu retournes dans ton monde, retourne vers là où je ne pourrai jamais aller, j'ai l'impression d'être si différente de toi, l'impression que tout cela n'existe pas. Je me l'invente peut être, qui sait, mon esprit adore divaguer. Il le fait aux grès de ses pensées, de ses envies. Je ne le contrôle plus depuis qu'ils ont voulu le formater. Plus d'enfant qu'ils y ont dit. Ils l'ont brisé, mon petit.

Je lui souris à la belle à la tête dans les nuages. Je l'envie un peu, mais chut, n'est ce pas ? C'est un secret, il y a longtemps j'ai été comme elle, il parait. Alors je lève les yeux au ciel, essaie de me souvenir, mais ça ne veut pas. La seule chose à laquelle je pense, c'est ma main là, posée contre mon ventre. Elle attend que Novaly nous rejoigne enfin. Qu'elle court si vite que ce sera surprenant de le voir chez une petite fille comme elle. Elle est parfaite, ma jolie. Elle n'a jamais mal et ne connait pas grand chose de la vie, mais à n'importe qui, elle sourit.

« Et toi, comment tu les vois, les choses . . . »

Moi ? Je ne vois pas grand chose. Pas plus loin que le bout de mon nez, en réalité. Ou peut être un peu trop loin je ne sais jamais. Mais quand on parle de voir quelque chose là, maintenant ? Il faut savoir de quelles choses on parle, je crois. Après je suis perdue, je raconte n'importe quoi, et le plus souvent je pleure, malgré moi. C'est pas bien, les docteurs n'arrêtent pas de me dire de me stopper, de ne plus agir comme ça. Mais c'est plus fort que ma volonté. Je décide plus beaucoup de trucs, depuis qu'ils m'ont enlevé mon enfant.

C'est leur faute, tu vois, petite poupée ? Je suis devenue comme ça parce qu'on m'a formater, c'était leur idée, et ça me donne la nausée. L'imagination que j'ai n'arrive plus bien a donner un visage à mon bébé. Et j'en veux à mon esprit d'être trop occupé pour ne plus se rendre compte qu'il oublie sa raison de vivre. Son sourire.
Je vois les choses, moi ? Je vois que le monde est trop triste et qu'il mérite ton sourire. Qu'il aurait voulu celui de ma Novaly. Je vois que j'ai mal, que je suis perdue. Que pour l'instant je suis lucide jusqu'à la prochaine crise de folie. Elle est trop difficile pour moi, ma vie.

- Oh moi, je ne vois pas grand chose ... Parce que j'ai trop mal là.

Je désigne mon ventre de ma main, et puis mon cœur. C'est simple, pour voir les choses à grand, j'ai trop mal à l'intérieur.

Je me dis que les fêtes, c'est bon pour personne. Courir les rues pour arriver les mains pleines à une fête un peu trop pompeuse. Les attentes sont toujours trop grandes et les présents décevants. Pourtant, on sourit et on boit, jusqu'à en oublier la compagnie misérable qui nous entoure. C'est triste, c'est ridicule, mais on recommence chaque année. Nos coeurs s'entremêlent jusqu'à tordre la réalité. Ce qu'on ressent, ce qui est vrai, ce qui ne l'est pas. Au final, tous ceux qu'on croise ont des cicatrices différentes des nôtres. On aime simplement oublier leur existence. Alors on parle, on s’indiffère, on se fait croire qu'on est intéressés. Et quand quelqu'un d'intéressant passe devant nos yeux, on se cache, on regarde ailleurs. Parce que cette personne là effacerait la banalité de toutes les autres. Je n'ai pas le coeur de chercher quelqu'un comme ça, d'ouvrir les yeux. Parce que ma vie n'aura été qu'une suite de rencontres inutiles. Je ne veux pas gâcher mon temps, ma jeunesse, mon coeur. Quand on perd une de ces trois choses là, on ne les retrouve jamais.

La jeune femme qui me fait face semble avoir beaucoup vécu. Je n'ai jamais eu ces yeux là. Les siens crient un manque. Les miens laissent planer une innocence. Même après tout ça, je ne suis qu'une fille, une toute petite fille qui aime porter les talons hauts de sa mère. Une mère qu'elle préfère oublier. Une mère qui ne l'acceptera jamais comme elle est. Je me sentirai toujours toute petite devant elle. Je vais fermer les yeux et oublier.

- Oh moi, je ne vois pas grand chose ... Parce que j'ai trop mal là.

Mes paupières s'ouvrent pour la voir pointer son ventre. Ce que moi je vois, c'est qu'il lui manque quelqu'un. Quelqu'un pour panser le mal, pour lui dire que tout ira bien. On a tous un enfant à l'intérieur qui a besoin d'être rassuré. Peut-être que la petite fille qu'elle a déjà été a encore mal d'avoir grandis. Et puis, qu'est-ce que j'en sais.

Je ne suis qu'une fille dans la rue. Une de ces rencontres vides autour desquelles on construit nos vies. Je n'aurai pas d'impact, pas de répercussion. Qu'une suite inévitable de hasards. Je l'ai bousculée, on a parlé. C'est stupide d'avoir aussi peu de contrôle. Que des poussières dans l'atmosphère.

« Je peux y faire quelque chose ? »

À quoi ça sert, de se croiser, de se parler, si c'est pour ne faire aucune différence, si c'est pour ne rien tenter. Peut-être que je n'y peux rien, mais je ne peux pas savoir sans le demander. Alors dis-moi, si on peux ouvrir un peu les yeux. Être autre chose que ces gens qui se croisent et qui oublient.

Ma main toujours perdue entre mon ventre et mon cœur, délicatement, je me meurs. Je souris à ma nouvelle amie, et même si je ne sais pas si elle mérite ces mots là, je lui accorde pour son beau regard. Peut être que demain elle me tournera le dos, surement qu'elle oubliera la vieille Emiline que je suis, mais ici, dans cette rue, elle est mon amie, pour l'espace d'un instant. Juste un petit moment.

« Je peux y faire quelque chose ? »

J'aimerai pouvoir la remercier, lui offrir quelque chose mais je n'ai rien sur moi. A la vérité je ne sais même plus comment j'ai attiré là. J'étais ailleurs et puis là. Je cligne des yeux, une deux, trois fois. Je soupire aussi un peu, je réfléchi à un moyen de la rassurer. Je me dis aussi que pour ça, je ne suis pas douée. Je me demande encore pour quoi je le suis.

Pendant un temps je l'ai été pour l'écriture. On disait de moi que j'étais écrivain, une romancière au futur brillant. J'ai juste oublié comment écrire. Ils ont comparé le jeune Houston à moi, mais contrairement à lui, je ne suis pas tombée amoureuse d'un mirage, j'en ai crée un qui devait venir de moi. Je ne me comprends plus, ne me comprends pas, qui le pourrait dites moi ? Personne de réel en tout cas.

Je regarde autours de moi, je ne sais pas vraiment pourquoi elle est toujours là. Les gens ont cette habitude bizarre de me protéger un temps et puis de s'en aller tout simplement, je ne les blâme pas, loin de là, mais la princesse qu'elle est, ferait bien de me quitter maintenant, les choses iraient plus vites, le monde tournerait au mieux et la Terre continuerait à tourner.

- Je ne crois pas ... Faudrait avoir des pouvoirs magiques pour ça. J'ai cru longtemps qu'ils avaient volé mon enfant, mais aujourd'hui j'ai compris qu'elle n'était pas faite pour la vie. Je hausse les épaules, lui souris une nouvelle fois, prête à repartir vers ailleurs, un autre endroit, un autre chemin, parce que je sais qu'elle ne m'accompagnera pas vers demain. Parce que c'est comme cela, à chaque fois.

Peut-être est-ce le temps et les festivités qui s'annoncent autour de nous. Peut-être est-ce la faible neige qui menace de nous recouvrir lorsque les nuages se désagrègeront sur nos têtes. Peut-être que les fêtes, ne sont pas joviales pour ceux à qui il manque quelqu'un. Je me sens comme une intruse dans son malheur, dans les secrets de sa vie qu'elle n'a pas à formuler pour une étrangère. Ça n'est pas une curiosité malsaine qui me retient là, à l'écouter. C'est une pure envie de ne pas être seule, ni moi, ni elle. On ne se connaît pas, c'est vrai. On passe tant de gens dans la rue tous les jours. Et si un sourire, une preuve qu'ils existent pour nous, pouvait apporter pour quelques instants une étincelle de bonheur. C'est pas assez, mais c'est mieux que rien.

Je ne sais pas si on se comprend, elle et moi, ou si on vit chacune dans une réalité différente. Alors que les rues s’animent dans une danse macabre de surconsommation, les enfants pleurent et les taxis se tamponnent dans un refrain trop connu. Moi, je n'ai jamais rien connu d'autre que les rues et le béton. Citadine jusqu'aux os, je serais perdue dans la nature. Il y a tant de choses sur cette terre que je ne connais pas et que ne connaitrai jamais. Alors on se dit que ça n'a pas d'importance. Pourquoi s'en faire, si on n'y peux rien. Pourquoi vivre si un jour on vas mourir. Je refuse d'adhérer à ces histoires. Au bout des périodes noires revient toujours la lumière.

- Je ne crois pas ... Faudrait avoir des pouvoirs magiques pour ça.

Ça me fait sourire de savoir qu'on croit encore en la magie. Que le plus petit des espoirs se cache dans l'infime possibilité que la magie existe. Je ne peux rien y faire, c'est probablement vrai. Mais je continue d'y croire. Comme quand gamine, je croyais qu'Alice avait le pouvoir de me protéger contre mes parents et leurs disputes et leurs attentes. Et puis non, ce n'était qu'une illusion.

- J'ai cru longtemps qu'ils avaient volé mon enfant, mais aujourd'hui j'ai compris qu'elle n'était pas faite pour la vie.

Je ne sais plus respirer et je me dis que ça doit être infiniment plus horrible pour elle. Qu'elle doit sentir le sol s'affaisser sous ses souliers. Que la nuit doit être hantée par son fantôme. Que je ne sais rien, que je n'ai pas vécu. Qu'est-ce qu'on dit à une femme qui a tout perdu. Une femme qui s'est fait enlever une partie d'elle-même. Je ne sais pas, je ne sais plus. C'est probablement une histoire qu'elle ne sait pas raconter, alors je me tais et je ne demande ni le pourquoi ni le comment. Je ne demande pas son nom, alors que je sais qu'il aurait été merveilleux.

« Qu'est-ce qu'on fait quand on réalise ça. Est-ce qu'on vit pour deux . . . ? »

C'est surprenant, qu'elle soit là, devant moi. Toujours debout. Je veux simplement savoir ce qui fait que certains s'effondrent et que d'autres continuent.

Je vois le désespoir naitre dans ses yeux, je le reconnais, comme un vieil ami qui à présent ne veut plus me quitter. J'y souris même à moitié comme si j'étais heureuse de le retrouver. C'est difficile d'expliquer ses sentiments, et je me demande comment je faisais avant pour savoir les écrire. J'étais écrivain, l'information frappe fortement mon cerveau, j'avais une vie quelque chose, j'avais de l'espoir, de l'envie. J'avais le monde devant moi, j'avais un être qui grandissait en moi, qui me donnait toutes ces choses, qui me gavait d'envie, qui me faisait rire et qui montrer que la vie telle qu'elle est lorsqu'on attend un enfant, elle vaut la peine d'être vécue, tout simplement.

Je voudrais lui dire de ne pas s’inquiéter, que j'ai appris à moins m’effondrer, que je tiens debout malgré tout. Que j'ai ma Novaly en tête à chaque instant et que je la découvre dans chaque rire d'enfant que j'entends. Elle est merveilleuse car elle est à moitié moi ... Enfin, elle aurait été à moitié moi, c'est difficile, n'est ce pas, de se dire qu'elle ne sera plus là ? Mais j'apprends à aller mieux, je le promets, la folie me quitte, doucement, petit à petit.

« Qu'est-ce qu'on fait quand on réalise ça. Est-ce qu'on vit pour deux . . . ? »

J'incline le visage, surprise qu'elle s'adresse à nouveau à moi, je la pensais partie tandis que je me perdais dans ma fausse vie, celle qui est rêvée sans que je ne puisse le contrôler. Je l'imagine grande déjà, avec des cheveux si longs qu'on se demanderait comment ils font pour être vrais. Elle aurait les yeux verts, elle serait parfaite bon sang. Ça y est je m'emporte à nouveau, je frôle le n'importe quoi, comme à son habitude il danse avec moi.

Comment est ce qu'on fait pour survivre à cela ? Je ne saurais pas l'expliquer, je me demande encore si je suis réellement en vie où si je ne passe pas mon temps à rêver, un cauchemar éveillé, un endroit où je ne comprends jamais rien et où les inconnus que je rencontre se trouvent compatissants sans savoir vraiment. Puis il y a les moqueurs, ceux qui s'amusent à torturer un peu plus mon coeur.

- Je ne sais pas, on subit en croyant que demain tout ira bien, mais tous les jours on revient sur terre, on se rend compte que les peines s'apaisent toujours, mais que les souvenirs ne s'effacent jamais. Je crois qu'on reste a jamais hanté.

Comment on survit à cela ? Ô c'est simple, vous savez, on ne le fait pas.