Je soulève les poids sans difficulté. Je suis bon dans ce que je fais. Le sport, j’y suis bon. J’ai travaillé pour, je suis bon. Pas de quoi en faire un roman. Je me dépêche, ai hâte d’en finir. Je déteste ces séances dans des salles climatisées. Selon moi, il n’y a rien de mieux que le plein air. Le sentiment de réalité y est plus fort, plus vrai. Des gamins crient lorsque vous passez à côté d’eux, des couples s’embrassent. Ça sent la vie à plein nez.

Ici, on y croise que des gens faisant le détour par Brooklyn pour la simple et bonne raison que c’est là où se trouve le seul complexe de New York. Des riches, des tonnes de riches. Qui n’ont, pour la majorité, jamais vu de miséreux de leur vie. C’est triste, hein. Cette espèce de ségrégation non dite. Je trouve ça triste. Mais le coach nous force à venir ici, quatre heures par jour. Alors, … Ce que Coach veut, Dieu veut.

Vite, vite. Ici, c’est la goutte d’enfer de trop. Je n’ai qu’une envie : courir jusqu’au vieux cimetière. Shooter dans un ballon sur le vieux terrain. Là même où j’ai appris à jouer. Où j’ai été heureux. Non pas que je ne le sois pas. J’imagine que je le suis toujours. Pas vraiment sûr, en réalité. J’ai atteint mon rêve : jouer pour les NY Red Bull. Mais, peut-être que j’avais le mauvais rêve. Ou peut-être que dans mon rêve, j’avais des gens avec moi. Qui sait ?

Je n’y suis pas retourné, au terrain, depuis ce fameux jour où Jason est parti. C’était là-bas qu’on s’était rencontrés. Un peu nostalgique, le garçon ? Non, juste un peu trop triste. Ça me ferait mal, retourner là-bas sans lui. Et j’en ai marre de souffrir pour des gens qui ne sont plus là. Putain…

Mais c’est ce que je fais de mieux. Souffrir, parce que mes parents sont morts seuls. Que je n’étais pas là, coincé que j’étais dans mon stage de foot. Pas coincé, heureux que j’étais dans mon stage de foot. Souffrir, parce que Jason est parti sans se rendre compte que ça me faisait mal, que j’avais besoin de lui. Souffrir, parce que je n’ai plus personne à qui me rattacher. Ou si peu.

Je lâche les poids, soudain pris d’une violente fatigue. J’ai besoin d’eau. Vite, vite. Mon sac, ma bouteille. Je lâche un soupir, respire. Retour aux poids. Mais une silhouette blonde a déjà pris ma place. Prêt à l’incendier, je souris quand elle se retourne.