- Parce que !Oh ! Mais, OH ! Ca suffit, maintenant, les conneries ! J'ai les oreilles qui fument. Je me sens sur le point de le frapper, je crois, comme j'ai frappé Chuck. Mais ça n'a rien à voir et une petite voix dans ma tête me dit qu'à l'instant précis, Dean Roberts est un enfant de trois ans. Et les enfants de trois ans, il va falloir que j'apprenne à les gérer. Sauf qu'aucun enfant de trois ans n'aura l'intention me mettre dans son lit pour m'ajouter à sa collection de filles faciles, tandis que mes envies de meurtres n'auront d'égale que mon désir pour lui... Aucun enfant de trois ans ne pourrait éveiller en moi toute cette fureur, car seul Dean a ce pouvoir sur mon âme. Il est le seul. Putain, comment puis-je l'aimer d'une telle haine ?
Je pince les lèvres et plisse les yeux, mords ma langue, un petit peu. Je sens l'odeur de l'alcool se mélanger à son odeur que j'ai toujours aimé. Oui, c'est bête mais là tout de suite, la seule chose à laquelle j'arrive à penser, c'est que Dean a toujours senti bon. Mais aujourd'hui, il sent l'alcool et l'inquiétude se mêle à la haine quand je me pose enfin la question cruciale : pourquoi est-il dans cet état ? Pourquoi j'y pense maintenant, alors qu'au sommet de ma colère j'étais prête à lui mettre ma main dans la figure il y a quelques secondes à peine ? Mais j'y pense, alors que je le vois essayer de m'attraper le menton sans y parvenir. Je me rends compte que je ne l'ai jamais vu dans cet état et pourtant, on s'est retrouvé dans des soirées plutôt alcoolisées, lui et moi, par le passé. C'était avant que tout soit si compliqué. Avant que la vie ne nous ait rattrapés et que j'ai laissé grandir mes sentiments jusqu'à ce qu'ils dépassent mes rêves.
- C'est ma condition, à prendre ou à laisser, poupée.Pourquoi lui ? Putain, Ashley, t'es con ! Pourquoi lui ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Non mais... C'est à coups de pieds au cul que je vais te ramener à ta voiture, si ça continue ! C'est pas dit que ça marche, mais bon Dieu, ce que ça me défoulerait ! Je devrais vraiment le laisser seul ici. Lui appeler un taxi, qui le ramènerait chez lui. Pourquoi je m'embête ? Le conduire chez moi ? Non mais pourquoi faire ? Plus vite j'en serai débarrassée et mieux ça vaudra pour moi... Hein ?
Il tourne la tête, semble perdu et je soupire... Six mois. Six mois sans lui. Dès la première seconde, j'ai failli ne pas m'en remettre. Et j'ose essayer de me mentir à moi-même en essayant de me faire croire que je suis capable de l'abandonner ici, à son propre sort ? Comment le pourrais-je ? Je ne suis même pas capable de souhaiter la souffrance des gens qui me font du mal lorsque je n'en suis pas amoureuse. Alors laisser tomber ce pauvre Dean, qui de toute évidence n'arriverait même pas à retrouver le chemin de sa maison une fois que le taxi l'aurait posé devant. Ma gentillesse me perdra, je le sais. Mon coeur me perdra. C'est même déjà fait, Dean l'a emporté avec lui, où qu'il soit allé.
Il me regarde à nouveau, son expression a changé. Je n'ai pas eu besoin de répondre quoi que ce soit, il me tend la main, l'air résigné de celui qui capitule. Il baisse les armes le temps d'une trêve, rendant pour une fois les choses un peu moins difficiles pour moi. C'est pas trop tôt.
Je lui prends la main fermement, mon visage ne bronche pas lorsque je frissonne à son toucher. Je suis décidée à n'être qu'une bonne samaritaine et de ne rien laisser paraitre d'autre. Je parviendrai, d'une manière ou d'une autre à faire flancher mon coeur pour qu'il se soumette à un autre. Je fais le serment, alors que nous sortons de ce bar, que je serai capable d'aider Dean, sans rien imaginer, sans rien espérer. Je fais le serment de ne plus jamais lui laisser l'occasion de me décevoir. Je peux le faire, il le faut.
- C'est laquelle, ta voiture ?
Ma voix est décidée, vive la nouvelle Ashley. Je peux le faire, je le sais.
Il me montre du doigt une voiture rouge flamboyante, rutilante. Une voiture de course, un bolide. Mon courage s'étiole alors que je sens le sang quitter mon visage et se glacer. Je ne peux pas conduire ça ! C'est un monstre de l'apocalypse, ce truc. Un aller simple pour l'Enfer. J'vais mourir, j'vais nous tuer tout les deux et abimer sa belle monture. Il va hanter mon fantôme pour l'éternité pour me le faire payer, j'en suis sûre. Et peut-être même que dans l’au-delà aussi, il sera bourré. L'Enfer, je vous dis... Et si je le laissais conduire, ce sera probablement plus sûr, même dans l'état dans lequel il est... Non, allez, reprends-toi, Ashley. Tu peux le faire, merde.
Je secoue la tête pour me donner du courage, tends un bras tremblant pour appuyer sur le bouton de l'ouverture centralisée des portes. J'entraine Dean vers le côté passager, regardant avec appréhension le châssis bas de la voiture, comme si elle s'apprêtait à m'attaquer. Je l'aide à s'asseoir et m'assure qu'il parvient à s'attacher... Il va avoir besoin de sa ceinture, je le sens. Je fais le tour, ouvre la porte, m'assoie du côté passager... Et garde les mains sur le volant, les yeux dans le vide, n'osant pas encore mettre la clef dans le contact. Je lance un regard à Dean, qui est de toute évidence assez lucide pour se demander ce que j'attends. Devant son regard interrogateur, je secoue la tête pour signifier que j'étais perdue dans mes pensées puis je démarre enfin. Rien que son ronron me fait peur, parce qu'il est trop harmonieux pour la situation. Je fais tous les réglages qui me prouvent un à un que je suis beaucoup trop petite pour cette voiture. Après avoir attaché ma ceinture, je commence à y aller. Pour caler aussitôt.
- Je crois que je vais vomir. Murmure Dean.
Dean, pitié, pas maintenant, ok ? Là, c'est ta voiture que j'essaie de gérer, reviens quand j'aurai fini, s'il te plait. Je sais pas, mets-toi sur off, oublie que t'existes et laisse-moi me concentrer. Ok ?
Je démarre la voiture et parviens enfin à la faire avancer. Ma conduite est nerveuse, l’accélérateur va finir par me détester, les freins prient déjà pour que je m'en aille. Je freine trop fort, au dernier moment. J'éteins la radio, qui mettait de la musique qui me déconcentrait, ce qui fait que j'ai tout le loisir d'entendre Dean répéter qu'il va vomir. Bon, c'est bon, on a compris, merci. Je le regarde rapidement, juste le temps de lui lancer un regard noir, mais à peine ai-je quitté la route des yeux que la voiture fait un écart. Non mais le volant est réglé sur ce que je regarde, ou quoi ? Mon coeur a fait un bon, je vais jamais m'en remettre. On va mourir. Je jette un coup d'oeil au compteur de vitesse et manque de m'étouffer... A quelle moment j'ai atteint les 50 miles par heures ? Je ne m'en étais pas rendue compte ! Mon Dieu, c'est un avion super-sonique, c'est pas une voiture ! Je freine pour nous ralentir. L'odeur de Dean embaume l'habitacle, mais je n'ose pas ouvrir la fenêtre, de peur de me faire déconcentrer par le vent. Dean est silencieux, si ça se trouve, il a fait une crise cardiaque lors de mon dernier écart.
On s'arrête à un feu dans un à-coup. Ma petite voiture de fille qu'on a choisi ensemble, Sahara et moi, me manque. Je profite de ce moment de répit pour vérifier que Dean est en vie. Il a l'air à moitié endormi, mais agité dans son demi-sommeil. Au moins, il vit.
Je reprends la route. Le moteur a l'air de crier, ça n'a plus rien à voir avec le démarrage. Je n'aime pas ça, je n'aime pas cette voiture. Mais heureusement, nous avons passer le pont de Brooklyn, nous sommes bientôt chez moi. J'ai l'impression d'aller vite. Et pour cause, c'est le cas. Mon Dieu, c'est le pire moment de ma vie, je crois bien. Et comme par hasard, je le partage avec Dean. Ma vie est nulle.
Je vois enfin ma résidence, et ma maison, là-bas. La délivrance. Dean a un haut-le-coeur qui me refait faire un nouvel écart. S'il vomit maintenant, ça craint.
- Allez Dean, courage, on est arrivé.
Je ne sais même pas s'il m'a entendue. Pour la première fois de vie, je regrette qu'il ne réponde rien. J'aurais bien besoin qu'il me donne une poussée d'adrénaline, que la colère annihile ma peur pour les derniers mètres qu'il me reste. Qu'il me donne du courage, à travers mon irritation. Mais non, rien, et une fois arrivée, je me gare précipitamment dans mon allée pour vite m'extirper de cet engin de malheur. Je m'éloigne de ma portière comme si elle portait une maladie mortelle et contagieuse et me dirige vers celle de Dean pour le sortir de ma voiture. Complètement terrorisée, je profite de le laisser s'appuyer sur moi pour me laisser réconforter par sa stature. Je me laisse imaginer le temps d'un rêve qu'il aurait pu me protéger, si j'avais foiré avec la voiture. Même si je le connais assez pour savoir que c'est faux, mais n'y pensons pas.
Je ferme sa voiture à clef et le conduit jusqu'à ma porte. Je prie pour que personne ne nous voit, car les voisins ne comprendront jamais ce que je fais avec un mec qui est obligé de s’accoter à mon mur pour tenir debout. J'ouvre et le pousse à l'intérieur, étonnée de ne pas trouver Emily. Je dépose Dean sur mon canapé pour la chercher. Il y a un mot sur le frigo
"Ashley, j'ai décidé d'emmener Emily au ciné. J'ai voulu t'appeler, mais ton portable est en morceaux. On sera de retour vers 21h. Pas de bêtises. Sarah"Le diminutif de Sahara. 21h... Dans deux heures et demi. Pas de bêtises ? Je regarde Dean, sur mon canapé. Quelle bêtise pourrais-je bien faire ?
- Bon, il est temps que tu ailles prendre une douche, Dean.