« C'est que je suis pressée, vous voyez ? » Elle écarte de ses yeux les quelques mèches qui dansait sur son visage de poupée. Dans son rétroviseur, le chauffeur de taxi esquisse un sourire et appuie sur l'accélérateur. C'était un colosse au teint mate et à la silhouette musclée, aux phalanges tatouées et au sourire immaculé. L'esprit romanesque de Lexie n'avait fait qu'un tour, l'associant à une icône païenne oubliée, ou un gourou déjanté. Depuis ce jour, elle ne quittait plus son taxi, et avait su lui arracher d'un sourire presque trop parfait son numéro de téléphone, pour qu'il puisse la promener là où elle le souhaitait.

Elle tord ses doigts pales : « J'ai mit des coquelicots dans mes cheveux: Ils ne tiendront pas très longtemps, ils fanent si vite. Et j'ai même mit un chapeau.  Mais pas de chaussures à talons, j'ai un peu le vertige. Vous croyez que je vais lui plaire ? Oh, et si elle ne voulait plus vivre chez moi ? Ce serait triste. » Elle écarte cette pensée d'un mouvement de nez, rappelant au chauffeur une vague série sans couleurs et empreinte de sorcellerie que regardaient ses enfants, il y a de cela bien longtemps.

« J'espère qu'elle a quelques Cds de Gainsbourg avec elle. Et des pièces de Molière, en version française. Je n'y comprends rien, mais j'adore. J'ai acheté des fraises. Les français adorent les fraises, il parait. » Le colosse ne pu s'empêcher de rire. Elle captura son rire au creux de son cœur, et repensa aux papillons blancs du champ de son enfance. « J'ai envie d'un bain de minuit. Oh! Et d'abricots, aussi. J'espère qu'elle aime les abricots... » Elle reste un instant silencieuse, rêveuse, pensant à une plage de sable rendu blanc sous la lumière de la lune, et à des abricots gorgés de soleil.

« Tu es arrivée, la gosse. » Elle sursaute, puis sourit. Plongeant une main dans son sac, elle sort quelques billets froissés qu'elle tend au chauffeur. En ouvrant la porte, elle se tourna vers lui : « Vous êtes gentil. Je vous tirerai les cartes, la prochaine fois. » Puis, saisi son énorme pancarte en papier cartonné et se précipite hors du véhicule.

Dans la rue, elle capte un rayon de soleil, qu'elle prend pour un signe du Destin. Elle avait bu plus de thé qu'elle ne se serait jamais cru capable d'en ingurgiter, l'autre soir, espérant lire au fond de ses tasses le présage d'une rencontre sans encombre. Mais, ne parvenant à rien, elle en conclu qu'elle avait finit par rouiller, face à tout ce liquide avalé.

Elle entre dans l'aéroport, sa pancarte sous le bras et son sourire en étendard. Elle se laisse porter par le flot de gens qui défilent dans tout les sens. Elle sourit à une petite fille qui lui montre sa poupée, et repart en suivant un groupe d'étrangers, avant de repérer une toute petite femme vêtue de noir derrière son comptoir, et de s'en approcher : « Vous savez, ce n'est pas évident de se repérer, dans un lieu pareil. Je cherche un avion qui vient de France, une idée ? » Imperturbable, ses traits restent froids, tandis qu'elle explique à la grande blonde comment se rendre à l'endroit désiré. Avant de tourner des talons, elle jeta un dernier regard candide à l'hôtesse : « Vous seriez infiniment plus belle si vous appreniez comment sourire. Merci. »

Elle avance, bouscule, sourit, et se perd un peu face à tant de gens. Elle pleure aux retrouvailles baignées de larmes de quelques personnes présentes, avant d'arriver là où elle sait qu'elle doit se trouver. Puis, d'un geste convaincu, elle lève son panneau avec une impatience que trop mal maitrisée. « J'espère qu'elle le verra,» dit-elle au jeune couple juste à côté. « L'encre est peut être trop claire. Mais je trouvais que le bleu, c'était bien mieux. »

Le regard de Lexie se perd dans la foule. Dans l'ombre de ces grandes retrouvailles, de ces grandes déchirures autour d'elle, elle perd de vue les raisons de sa venue. La brise du ventilateur fait s'envoler son regard sur la gauche, puis sur la droite. Elle croise une paires d'yeux d'un vert chamboulant, et craque un sourire emplie d'espoir. Et dans un murmure, elle tue le dernier de ces doutes : « C'est elle. »

Elle lui paraît grande – presque aussi grande qu'elle l'est. Grande comme si elle caresser l'espoir d'atteindre les étoiles – espoir que la belle cajole depuis son enfance. Elle semble un peu perdue, un peu aventureuse, un vague air de Robinson Crusoé dans le coin de ce sourire si grand qu'il semble lui dévorer le visage.

« C'est moi. » Un léger accent danse dans le timbre de sa voix, et une odeur de fleurs et de promesses titillent les narines de la jolie blonde. Elle l'aime, déjà. Pour le moment, ou pour longtemps, elle l'ignore. Mais elle l'aime, maintenant.

Elle sourit à son tour, fière d'être aller chez le dentiste la semaine dernière, le corps vibrant de joie et de bonheur : « Évidemment, c'est toi. » L'évidence se lit dans sa voix, et elle regarde dans le vide un instant, taquinant du bout des iris l'aura de la française. Parce qu'elle sait que pour voir l'aura d'une personne, il faut commencer par ne pas le regarder. Elle le voit clair, d'un blanc immaculé outrageusement scandaleux. Et elle aime ça.

Elle secoue ses cheveux, perdant dans l'action un des coquelicot qui colorait sa chevelure : « J'avais peur de te louper, tu sais ? Me perdre, tout ça. Je me perds souvent, mais c'est bien. Ma grand-mère disait que c'est ainsi qu'on croise le Destin. » Mais le Destin n'aurait pas été très sage, de la perdre à ce moment là. Ou peut-être que si, tout au contraire. Elle n'en sait rien, mais tremble d'une confiance rare en cette Puissance qui rythme ses pas.

Elle sursaute, et se sent soudainement stupide - tellement stupide - d'avoir oublié l'essentiel, d'avoir oublier ces mots qu'elle répète dans sa tête depuis des jours et des semaines : « Oh, et.. » Elle s'arrêta, une légère ride naissant entre ses sourcils, et prononçe d'un français écorché : « Bienvenue à New York. »

« Évidemment, c'est toi. »

« J'avais peur de te louper, tu sais ? Me perdre, tout ça. Je me perds souvent, mais c'est bien. Ma grand-mère disait que c'est ainsi qu'on croise le Destin. »

« Oh, et.. »

« Bienvenue à New York. »

Elle exulte, fière de son exploit, quand la grande brune se propulse vers elle dans un grand fracas. Elle passe ses bras autour de la française, sans comprendre ni même vouloir chercher à la faire. Après tout, c'est ce que l'on fait dans les aéroports, non ? On se prend dans les bras.
Alors elle rit. Elle rit fort, très fort et semble alors entouré de bonheur. Elle relâche son étreinte autour de la jolie brune, et saisit ses mains.

« Je n'avais jamais prit quelqu'un dans mes bras dans un aéroport. Maintenant, je trouve ça dommage de ne pas l'avoir fait avant. Ca sonne comme des retrouvailles. » Elle fronce ses sourcils au mot retrouvailles. Il semble rude, sonne faux. Elle ne l'aime pas.

Elle trémousse son nez sans y penser vraiment, fixant ses mains qui entoure encore celles de la française. Elle ne l'a pas retrouver, non. Elle l'a simplement trouvé. Grâce au Destin, ou peut être – juste peut être – grâce à la chance. La retrouver aurait signifié la perdre la première fois et elle refuse de pleurer ce soir pour une perte qu'elle n'a jamais eu à subir.

« Regarde, on laisse meme une trace. » Lachant les mains d'Aurore, elle s'agenouille par terre, ramasse les deux coquelicots échappés de sa chevelure blonde et les avise un instant. Ses yeux en amande pétillent alors qu'elle les tourne dans ses doigts, avant d'enlacer leurs tiges et de les reposer par terre. « C'est comme un signe. J'espère juste que personne ne marchera dessus. »

« J'ai tellement de choses à te montrer. Comme Teddy, le chapelier fou. Il erre dans la petite rue à l'angle de l'épicerie. Il n'a pas de maison ni de famille, mais il est vraiment gentil. Il a un grand chapeau vraiment laid et il sent mauvais, mais il te fait tellement rire qu'au final, tu oublies tout ça. Il y a aussi ma salle de cours. Elle sent la poussière et l'espoir. Elle est abimé et vieille, tant elle a été regardé, mais elle est toujours aussi belle. Oh, et le chauffeur de taxi, aussi. Et le banc aux mots d'amour... Tellement de chose. 
Mais on rentre à la maison d'abord. » Elle sourit, pensant qu'à présent, sa maison semble deux fois plus grand, puisque deux fois plus habité.

« Je n'avais jamais prit quelqu'un dans mes bras dans un aéroport. Maintenant, je trouve ça dommage de ne pas l'avoir fait avant. Ça sonne comme des retrouvailles. »

« Regarde, on laisse meme une trace. »

- J'ai hâte de la voir, tu sais.

« J'ai hâte de la voir, tu sais. »Lexie sourit, frottant le bout de son nez de ses doigts. Sa main gauche s'agite doucement, des doigts frappant dans l'air une mélodie que la situation lui inspire, espérant ne pas la perdre avant d'avoir pu en accrocher les notes sur un piano.
Et elle s'imagine lu apprendre le piano, à cette jolie française, qui, même dans ses rêves n'aurait pu avec une aura plus belle.

« Dis moi, New-york est aussi belle que ce qu'on le dit ? » La belle fronce ses sourcils, déçue d'avoir perdu le rythme que lui inspirait la scène, avant d'en retrouver un nouveau, plus doux, emplie d'espérance, à l'image de la voix gorgée de miel et à l'accent purement latin de sa nouvelle amie. L'avenir se dépeint au son des notes dans son esprit et elle ne peut s'empêcher de sourire, tant l'air lui plait.

« Aussi beau que partout ailleurs. Ce qui compte, c'est de savoir regarder. » Lexie sourit. Qu'importe la ville, l'heure ou l'endroit. Ce qui compte, ce n'est pas où l'on n'est, mais ce que l'on y fait.

Elle se surprend alors à penser à Mozart. Mozart était petit, blanc taché de noir, et vivait avec elle, avant. Elle l'avait trouvé devant chez elle un soir, à gratter ses griffes contre le bois de la porte. Elle s'était dit que, peut être, cet appartement avait été le sien, aussi. Ou peut être avait-il décidé qu'il en serait ainsi.
Mozart était resté avec elle pendant des mois, avant de disparaître, sans laisser de trace. Elle n'avait fait aucun tract, n'avait pas cherché à le retrouver, persuadée qu'il était parti de son plein gré. Après tout, chacun se doit de suivre sa propre route.
Peut être ne savait-il simplement pas voir ce qu'il avait autour de lui. Peut être se cherchait-il encore.

« Avant j'avais un chat, mais il est parti. Peut être qu'il ne savait pas vraiment voir ce qu'il avait ici... En tout cas, maintenant, je ne suis plus toute seule. J'espère juste que tu sauras voir, toi aussi et que tu ne partiras pas. Ce serait plus triste que lorsque Mozart est parti. »

« Aussi beau que partout ailleurs. Ce qui compte, c'est de savoir regarder. »

- Oh mais moi, pour l'instant, je n'ai pas prévu de partir, hein.