J'étais allée à la fête foraine parce que j'adorais cet endroit. Qui ne l'aimait pas? La plupart des gens peuplant la planète Terre avait besoin de cette petite chose qu'il nous rapportait de notre tendre passé : notre âme d'enfant.
Ces gens là vont à la fête foraine pour la retrouver. Moi j'y allais juste parce qu'elle ne m'avait jamais quitté. Ce que j'essayais de retrouver ici n'avait jamais été perdu. Là était peut-être le problème. Ou peut-être que ce n'en était pas un... Moi et mes débats philosophiques à deux balles, j'allais finir par me coller la migraine.
Je décidai de me commander une boisson à un stand, même si je n'avais pas soif. Ça allait m'occuper les mains et m'abrutir le cerveau, et c'était exactement ce qu'il me fallait.Ma boisson à la main, je me retournai afin d'observer les alentours, mais je n'eus pas le temps de les regarder bien longtemps qu'une jeune femme approcha de moi et me prit mon verre.
Elle le but d'une traite. J'étais trop surprise et abrutie par son geste - au moins était-elle parvenue à remplir le rôle que j'avais assigné à la boisson disparue dans les méandres de sa folie - pour penser à m'énerver. En réalité, j'étais partagée entre l'amusement que provoquait son impulsivité et l'énervement causé par ce vol pur et simple. Mais pour le moment, l'amusement l'emportait.


- Je n'ai vraiment pas l'habitude de faire ça. S'excusa-t-elle.

- Dommage pour vous, parce que vous êtes certainement tombée sur la personne de tout New York à avoir la gale. Cet échange de microbes vous coûte malheureusement 3 dollars. Répondis-je sans même y réfléchir.

Je tendis la main avec un air désolée. Je souris intérieurement de ma réplique débile. Ne pouvais-je pas, comme toute personne normalement constituée, demander tout simplement ce qu'il lui avait pris de faire ça?

"Ca c'est la meilleure. Elle me pique mon verre et c'est moi que je traite de folle!"

Elle regarda mon verre qu'elle tenait toujours d'un air horrifié. Il valait mieux que je rétablisse la vérité au plus vite avant qu'elle ne se jette d'un pont.

- Je rigole pour la gale... Mais pas pour les 3$. Ajoutai-je avec un sourire.

And the winner is : L'amusement. Cette fille était vraiment trop bizarre et ça m'intriguait. De plus son excuse était aussi absurde que son geste. Combien de verres avait-elle bu avant le mien?

J'eus un peu honte de mon geste quand je la vis s'auto-flageller mentalement. J'avais du lui faire se sentir bien stupide. Elle mis un moment avant de trouver les trois billets et de me les tendre. Le temps qu'elle les trouve, j'avais du me décaler sur ma droite parce que je gênais l'accès à la buvette. Je ris devant l'air effaré de ma nouvelle compagne d'infortune lorsqu'elle ne me trouva pas en face d'elle. Pour une fois que ce n'était pas moi qui paraissait ridicule. Oui, mais maintenant, je me sentais obligée de la réconforter. J'avais un coeur, tout de même.

- Dites..Y'avait quoi exactement dans votre verre ?? Me demanda-t-elle.

J'avais une envie folle de lui répondre "du poison. et oui! Je destinais ce verre à ma pire ennemie, vous auriez du demander avant", mais je me mordis la lèvre pour me retenir.
Je lui souris.

- De la tequila.

Je pris les trois dollars qu'elle me tendait et me retournai face à la buvette pour me commander quelque chose à nouveau. Après réflexion, je fis une nouvelle fois face à ma voleuse de tequila et lui souris à nouveau.

- Voulez-vous boire quelque chose que vous auriez eu le loisir de choisir? Je vous invite. La fête foraine en solitaire, c'est nettement moins marrant. Lui dis-je d'un air espiègle.

Cette fille me plaisait bien au fond.

Elle accepte de rester avec moi. J'étais contente de ne pas avoir à rester ici toute seule. J'avais l'impression que tout le monde me regarder avec pitié : "Ooooh la pauvre sans-amis !". Je ne suis pas une sans-amis! J'ai beaucoup d'amis... C'est juste que eux et moi n'avions pas forcement les mêmes centres d'intérêt. Excepté Emily, mais bon...
Je souris à nouveau au serveur qui m'avait servie ma première tequila, il allait me prendre pour une alcoolique. Il me rendit mon sourire, se souvenant manifestement de moi. Normal, je venais à peine de quitter son stand!
Ma nouvelle amie commanda une vodka, tandis que je prenais à nouveau une tequila. Alors que je payais les consommations, elle but son verre cul-sec. Je l'imitai puis je portai attention au sexy serveur. Je souris alors, me rappelant du dernier barman que j'avais rencontré. Aucun doute, le jeune homme en face de moi ne l'égalait sûrement pas en sex-appeal, et me semblait tout ce qu'il y avait de plus banal en comparaison de Charlie.
Je fus alors tirée de mes réflexions par un cri.


- Je ne m'appelle pas Hope ! Mon prénom, c'est Kate ! Kate, d'accord. Kate. Pas Hope.


Je la regardai, avec de grands yeux. Mais, enfin! A qui parlait-elle? Je lançai un regard au serveur et vit qu'il la prenais clairement pour une folle. Elle de son côté, paraissait plutôt embêtée.
Je fis semblant d'éclater de rire.

- Ne vous inquiétez pas, dis-je au jeune homme entre deux faux halètements. Il s'agissait tout simplement d'un pari. Je vous préviens avant que vous appeliez la police. Ajoutai-je en faisant semblant de redoubler d'hilarité.

Je pris un billet de un dollar dans la poche de mon jean et le tendis à celle qui, apparement, s'appelait Kate.

- Tiens, Kate, sérieux, je pensais pas que tu en serais capable. Dis-je en lui faisant signe qu'il était temps que nous déguerpissions. Au revoir! Lançai-je à l'intention du serveur, qui bizarrement semblait trouver ça très amusant aussi.

"Oh! Dommage! Il avait le sens de l'humour."

Alors que nous nous éloignons, je regardai la dénommée Kate d'un air abasourdi. Elle était peut-être complètement allumée. Entre le verre et son cri... Je ne pus m'empêcher de penser à ma mère et à sa propre folie qui l'avait conduite à l'asile, et me demandai alors si le même destin attendait celle que je considérais il y a cinq minutes comme ma nouvelle amie. Je ne sais pas si je pourrais me lier avec quelqu'un sur le point de rejoindre ma mère dans cet horrible endroit.

- Alors, lui lançai-je lorsque nous fûmes assez loin du stand. Tu expérimentais une nouvelle manière de te présenter aux gens? Demandai-je d'un air léger. Je devrais peut-être t'expliquer comment on se fait de nouveau amis, tu ne penses pas? Ajoutai-je en riant, même si au fond, je n'avais pas vraiment envie de rire.

Mais ma philosophie était que le rire amenait la bonne humeur, et non le contraire. Et avec un peu de chance, elle allait m'annoncer qu'elle était complètement bourrée, même si elle n'avait l'air de l'être quand elle ne pétait pas un cable en piquant le verre d'une inconnue ou en gueulant sur un serveur qu'elle s'appelle Kate et non Hope. Et puis quoi? C'était joli, Hope.

Mal dans sa peau? Charlie était mal dans sa peau, Amy était mal dans sa peau pourtant, ils ne criaient pas sans raison qu'ils s'appelaient un tel et non un tel et je ne les avais encore vu prendre le verre de personne... J'avais besoin d'en savoir plus, c'était plus fort que moi. Je venais de lui sauver la mise et elle avait gagné un dollar en prime, sans compter la boisson que je lui avais offerte après qu'elle m'avait bu la mienne, c'était la moindre des choses. Bon d'accord, elle m'avait rendu mes trois dollars, mais elle en avait quand même payé qu'une sur deux.
Mais je ne réclamerai pas, sans pour autant lâché l'affaire. J'étais têtue.
Ma résolution d'en savoir plus faiblit cependant lorsque je la vit se prendre la tête dans les mains, témoins de l'instant de faiblesse qu'elle devait être en train de vivre.
Je lui souris, cherchant à la réconforter.
Mais avant que j'ai prononcé le moindre mot, elle me dit d'un air espiègle digne des miens :

- J'ai envie de...Barbapapa.

Je souris pour de bon, prise de cours.

- Si tu me prends par les sentiments. Dis en riant.

Puis je la regardai à mon tour d'un air malicieux.

- Ah au fait, moi non plus je ne m'appelle pas Hope. Dis-je avec un clin d'oeil. C'est Ashley.

Espérant qu'elle avait le sens de l'humour et qu'elle ne le prendrait pas mal, je l'observai, tandis que nous nous dirigions vers le stand.

Je l'emmenai au stand de barbe-à-papa, contente au fond de trouver quelqu'un autre qu'Emy pour en partager une avec moi. Peut-être Kate n'était-elle pas folle, peut-être était-elle juste comme moi. Combien de personne m'avait catalogué de la sorte? Beaucoup.
Arrivées au stand, nous nous retrouvâmes derrière deux limaces qui se léchaient le museau sans discontinuer, guère intéressés par le monde qui les entourait et, par conséquent, par nous qui attendions derrière.
Je lançai un sourire discret à Kate qui me regardait, imaginant une dizaine de plan destinés à me moquer d'eux. Je ne dis rien cependant, puisqu'ils se détachaient enfin l'un de l'autre.
Malheureusement, leur trêve ne dura qu'un temps, celui de payer leurs consommation. Étonnée, je les regardai. S'ils restaient coller comme ça, par où allaient-ils faire passer les crêpes?
Je secouai la tête, dégoûtée et toussotai. L'homme me regarda alors, pas content.
Haussant les sourcils d'un air désolé, je montrer le stand.
"Bouge, coco!"
Kate ne peut alors plus s'empêcher de rire et explose. L'homme est carrément furieux à présent.
Alarmée, je lui mets un coup de coude, même si moi-même, j'aurais bien voulu rire.
Je lui fais signe de se calmer avec les mains. De plus l'homme ne semblait vraiment pas commode.
Je me tournai à nouveau vers lui avec un énorme sourire.

- En fait, on aimerait consommer aussi... Mais si vous voulez nous payer les barbes-à-papa, ça ne nous dérange pas. Dis-je avec un sourire.

Si avec ça il partait pas. Les gens étaient légèrement anxieux lorsqu'il s'agissait d'argent. Ils l'étaient beaucoup moins s'ils avaient l'impression qu'on se moquait d'eux.

Ce que j'aime, c'est cette impression d'être en phase avec elle. Comme si nous étions liées par je ne sais quel fluide cosmique traversant nos de corps, nos deux âmes, pour qu'elles avancent ensemble et se comprennent. C'est con de penser ce genre de truc, surtout d'une inconnue, mais j'ai ce sentiment que quoi que l'une fasse, l'autre rentrera dans le jeu. Peut-être parce que nous avons partager le même verre, qui sait. Comme quoi, il a raison, celui qui a dit que l'alcool créait des liens, même si je doute fort qu'il se soit attendu à notre notion de la chose. Je me plais à imaginer un monde peuplé d'un être aussi bizarre que moi, et ça fait du bien, de ne plus être le seul énergumène connu. Non pas que je pense que Kate soit un énergumène, je ne voudrais pas qu'elle interprète mal mes pensées, si elles les entendaient, mais nos deux esprits sont, au moins pour ce soir, sur la même longueur d'onde, au royaume des enfants qui comprend tout. Ca inspire.

- Bien sûr que ça me dit ! Elle répond dans un sourire, et je la sens tellement convaincue que j'en taperais encore des mains, si elle ne m'en avait pas volé une dans un élan de joie pour m'entrainer à l'attraction en courant.

Je me laisse faire, contente de ne jamais mettre de talons et laisse le vent fouetter mon visage. Elle court un peu trop vite pour moi, qui ai toujours détester travailler mon sprint, en sport, mais je suis euphorique, évitant les gens et les imaginant se retourner sur notre passage, l'air courroucé de celui qui se demande pour qui les jeunes se prennent, qu'est-ce qui ne tournent pas rond chez les filles ou si l'école maternelle a bien fait de nous garder pendant toute notre scolarité. N'importe quoi, monsieur, je vous promets que je sais lire, je suis diplômée de Lettres, moi, d'abord, monsieur.

Je cours au rythme de ses pas et malgré le fait que je sache parfaitement respirer durant un effort, j'ai oublié de le faire, aussi, un point de côté ne tarde pas à faire son apparition. Saleté de manque d'endurance. Je ris tout de même, car cet inconvénient ne saurait gâcher mon plaisir, et je laisse sa bonne humeur se diffuser en moi comme la fumée d'un bâtonnet d'encens le fait dans une pièce. Oh oui, j'aime ça, être heureuse.

On s'arrête, arrivées devant le manège et je regarde avec horreur le monde qui s'agglutine dans la queue, il va falloir attendre, attendre et attendre, et d'ici que l'on soit arrivée, j'aurais changé d'avis, j'en suis sûre. Je ne montre cependant pas ma déception, et sans lâcher sa main, je la tire à mon tour vers le guichet qui vend les billets. Bien sûr, qu'il y a du monde, c'était à prévoir et je suis presque sûre que quelque soit l'instant, il y en a aura toujours autant. J'achète mon ticket et la laisse acheter le sien, puis prends place dans la file d'attente. On va en avoir pour 10 minutes, minimum, mais tant pis, ça nous laissera le temps de discuter.

Je suis muée par une véritable envie d'en savoir le plus possible, sur elle. Avant même qu'elle ait commencé à me raconter sa vie, je sens qu'elle me fascine déjà. J4aimerais savoir si elle est étudiante, au chômage, vendeuse de hot-dog dans la 42ème, promeneuse de chien dans Central Park, actrice, danseuse... Peut-être m'inspirera-t-elle, qui sait.