« Sale bâtard ! ». Je me souviens du jour où ma grand-mère paternelle m'a insulté alors que je jouais seul aux petites voitures à côté d'elle. J'avais 6 ans. J'avais toujours su que l'homme qui vivait avec moi n'était pas mon vrai père, mais cette garce de mamie avait réussi à donner un nom à ce que j'étais. Un bâtard. Et rien de plus. Selon elle, « ma trainée de mère est allée voir ailleurs, 9 mois plus tard l'immondice que j'étais est apparu, et son mari a été tellement compréhensif de pardonner ma mère et d'accepter de prendre soin de moi et de m'elever comme son propre fils ». Le vérité, c'est que, même si mes parents faisaient tous les efforts du monde pour m'integrer à la famille, constituée aussi d'une grande soeur et d'un petit frère, j'ai grandi complétement à l'écart, en ne leur parlant que très peu.

A l'école, je n'avais que très peu d'amis. Enfin, plutôt de "connaissances". Ce mot est plus approprié, je crois. "Connaissance". Mais je n'en ai jamais souffert. Pour moi, les amis sont facultatifs. Les gens en ont besoin pour se valoriser auprès des autres. On compte ses amis comme on compterait son argent. « C'est moi qui en ait le plus ! ». C'est ce que tout le monde pense, le reste n'est que pure hypocrisie.

Mon vrai père, je l'ai toujours detesté. D'autant plus que ma mère m'a revelé il n'y a pas si longtemps que cet homme sautait sur tout ce qui bouge, et avait engrossé trois femmes en même temps. Trois frères. Qui ont sûrement vécu la même chose que moi. Et ça m'est complétement égal. Vous savez, dans les films, quand les gosses découvrent que leurs parents ne sont pas leurs vrais géniteurs, ils se lancent à la recherche de personnes partageant le même sang qu'eux... ? Pas moi. Je n'ai rien d'un héros de film. Mon père a disparu de la circulation. Tant pis. Je continuerai à le detester du plus profond de moi-même jusqu'à la fin de mes jours. Quant à mes frères... j'ai beau connaître leur nom, je leur souhaite d'avoir une belle vie. Loin de moi, surtout.

Je me suis barrée de chez moi dès que j'eus atteint ma majorité. Aujourd'hui, je vis dans un petit appart' situé à Brooklyn, d'où le loyer hors de prix. Pour m'en sortir, j'ai pris deux boulots : libraire, et joueur de piano au Trocadéro. Les livres et la musique, c'est bien les seules choses qui m'interessent...