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Assis sur le bord le plus fin du quai, on compte les bateaux. Les baptise à nouveau en leur inventant une autre vie, d’autres horizons et des voyages plus beaux. On réinvente le monde en l’appelant par son nom d'oiseau. Sans lui faire de mal, on le soigne les pieds dans l’eau.

- Celui-ci, le grand blanc avec une cicatrice sur le côté, il s’appelle Neverland, parce que son Capitaine a toujours juré qu’il serait le premier à s’y rendre par la mer. Il a été rafistolé des dizaines de fois, parce qu’il a trouvé d’autres pirates sur sa route que ceux du Pays Imaginaire mais c’est pas grave, parce qu’il tient encore les flots et pour tout dire, ça lui plait même d’être malmené. Quand il est chahuté, il devient plus qu’un bateau, il est le dernier espoir des hommes qui lui tiennent la barre. C’est leur maison, leur héros. C’est peut-être pour ça qu’il est aussi beau.

J’arrache mon regard à la contemplation du navire pour trouver le visage de ma nièce qui, comme moi, mange une glace en repensant la vie des mers. Je craque un sourire, comme à chaque fois que je l’ai pas regardée depuis plus de trente secondes, frappé par ses allures de jeune femme. Hier, je la prenais des bras épuisés de sa mère pour l’emmener se promener sous les arbres du quartier. Et voilà qu’elle pense, voici qu’elle est.

Ce soir, en la rendant à Ashley, je lui donnerai la photo du navire avec la plus belle histoire, le portrait flottant de celui qui aura donné à nos cœurs un sens. Puis lui offrirai aussi toutes les autres, griffées des noms de nos évasions.

J’évite de la regarder trop longtemps, comme j’aurais pu le faire quand elle avait deux ans. Ou de lui reprocher de grandir trop vite. De me faire me sentir vieux. Parce qu’avec elle, je m’assieds là entre son âme et celle du Kieran d’autrefois. J’ai sous l’épaule le môme que j’étais et cesserai jamais d’être vraiment, répétant tout ce qu’il me souffle, rêvant avec ses yeux, touchant avec sa main, parlant avec son cœur.

Mon bateau est parti, charriant avec lui l’ombre de sa nouvelle vie. Le port tranquille nous régale d’un trafic presque tendre, laissant le soleil déguiser les vagues qu’il habille de ses reflets dorés. Un nouvel arrivant glisse vers nous, terrible, somptueux et imposant. Il est pour elle. Je souris l’invitation et pose l’appareil photo sur la cuisse de mon Emily, n’en gardant que le polaroïd de mon Neverland.

- Celui-ci, le grand blanc avec une cicatrice sur le côté, il s’appelle Neverland, parce que son Capitaine a toujours juré qu’il serait le premier à s’y rendre par la mer. Il a été rafistolé des dizaines de fois, parce qu’il a trouvé d’autres pirates sur sa route que ceux du Pays Imaginaire mais c’est pas grave, parce qu’il tient encore les flots et pour tout dire, ça lui plait même d’être malmené. Quand il est chahuté, il devient plus qu’un bateau, il est le dernier espoir des hommes qui lui tiennent la barre. C’est leur maison, leur héros. C’est peut-être pour ça qu’il est aussi beau.

J'ai écouté ses mots plus que mes propres pensées. Complétement fascinée. Je l'envie d'avoir plus d'imagination que moi, et je me surprends à vouloir que son Neverland m'amène loin. Mais pour un temps, n'est ce pas ? Même si je souhaite partir de toutes mes forces, quand je suis avec ma famille je sais, que jamais je ne pourrai les quitter trop longtemps. C'est étrange comme ils font parti de moi, les liens du sang, la force de nos sentiments.

Je lâche des yeux son bateau qui vient de nous quitter pour regarder l'appareil photo qui vient de poser sur mes jambes. Je souris un instant sachant que c'est à mon tours d'inventer un monde tout entier. Je prends l'appareil entre mes doigts, je ne sais pas vraiment comment faire pour créer une histoire telle que la sienne. Il faut être un artiste pour faire cela, et moi je suis loin d'en être une, croyez-moi.

Peut être qu'il faut juste une âme d'enfant, mais je grandis trop vite, je n'ai pas le temps. Je soupire, déçue de moi, sure et certaine que je vais tout de même essayer, parce que je ne voudrai pas le laisser seul dans son joli monde enchanté. Je veux que le bateau qui vient d'arriver possède une histoire digne des plus grands contes de mon enfance, celle que j'ai quitté trop rapidement quand j'ai compris que maman et papa ne serait plus ensemble dorénavant. Ce n'est pas contre moi, mais ils se font du mal entre eux, on était bien avant. Avant qu'ils ne décident que la vie à deux, ce n'était pas pour eux.

- Celui là il transporte une princesse loin de chez elle, elle est promise à un homme qu'elle pense ne pas aimer, mais elle est idiote un peu cette princesse là, parce qu'elle ne se rend pas compte que quand elle verra son prince, sa vie sera définitivement plus belle. Ça frappera son cœur, d'un coup, un éclair puissant venu du ciel. Le jour où elle se mariera elle sera tellement heureuse que ça lui fera mal. Parce que quand on aime si fort, c'est parfois si douloureux. Il s'appelle l'Andromède, parce que même s'il ne transporte pas la constellation, cela reste la plus belle des étoiles qui est à son bord.

Mon histoire est bien moins belle que la sienne, je le sais, mais je relève tout de même l'appareil photo vers mes yeux, afin d'immortaliser mon Andromède et sa princesse pas réellement perdue. Celle qui vivra bercer par cet amour que je lui ai inventé. Elle aura ce qu'on appelle, une vie rêvée. Ce soir j'aurai la tête pleine de nos histoires, et je sais, que je ne pourrai pas m'empêcher de les poser sur papiers. Comme à chaque fois, avec Kieran c'est comme cela. Il me fait oublier, que la vie n'est belle qu'à moitié.