Je connais les rues comme ma poche. La poche d'un vieux jeans aux genoux déchirés tellement il a été porté. Un vieux jeans décoloré des après-midis passés au soleil sans autre but que de perdre du temps. Je me voulais le magicien des sans-abris, celui qui joue des cartes comme d'autres excellent à quelque chose d'important. J'ai tant de fois voulu prouver que d'où on vient n'a pas d'importance. Le prouver à qui, j'ai juré que je n'en avais rien à faire de ce qu'ils pensaient. Que plus jamais personne n'aurait d'emprise sur ma vie. J'ai voulu être libre. Libre de mes souvenirs d'enfance. Libre de ces horreurs. Libre de la culpabilité de ne pas avoir pu la sauver. On a tous nos démons, ma Camille plus que d'autres.

Il y a de ces jours où on pense à hier et d'autres où on pense à demain. J'ai peur de penser trop loin. J'ai cet horrible sentiment que mes jours avec Camille sont comptés. Que la nuit peut me l'enlever. Tout ce que je veux, c'est la sauver d'elle-même. Il y a des gens qui prient pour être riche, pour avoir du succès, pour quelque chose d'horriblement matériel. Tout ce que je demande, c'est Camille. Je ne crois en aucun dieu, comment pourrais-je. Mais s'il y a une chance que quelqu'un, un peu plus haut, soit à l'écoute de quelqu'un comme moi, je ne demande qu'une chose, qu'on me laisse mon amour.

J'aime imaginer, que ma maman est au ciel. Qu'elle est libre de la vie sombre qu'elle a vécu. Que son coeur est enfin au repos. J'ai grandis en espérant la retrouver, sachant très bien que plus jamais je ne poserais ma tête contre son épaule, laissant tous mes soucis s'envoler. Ma mère est un ange, j'en suis persuadé. Ma petite maman.

Le pavé des rues a laissé place à l'herbe. Les bâtiments sont visibles derrière la cime des arbres. Sur un banc de parc, un mec joue de la guitare. Au premiers abords, je me dis qu'il doit être comme moi, à échanger un tour de cartes ou une chanson contre de quoi manger. Alors que mes pas réduisent à néant la distance qui nous sépare, quelque chose me frappe. Il chante pour son fils, il chante pour le plaisir.

♪ Because you're mine, I walk the line...

Je pourrais chanter la même chose à propos de ma Camille, si je savais chanter. Sa ligne à elle, c'est celle qui sépare la vie et la mort. Pas aussi adorable que les intentions de ce chanteur de vie. Je me dis que ça doit être beau, d'avoir un père qui nous aime assez pour en oublier le monde entier. Plus rien ne compte si ce n'est l'amour inconditionnel entre ces deux là. Pas d'autres témoins que le ciel et les passants. Les derniers accords de guitare se perdent à travers les feuilles. Un rire de ce gamin haut comme trois pommes.

J'en ai des frissons. C'est beau et tragique de les voir. Beau parce que c'est ce que j'ai toujours voulu, tragique parce que jamais je ne pourrai rattraper le passé qui a filé. Il a filé comme ma Camille qui s'éloigne un peu plus à chaque jour.

« Nice song. »

Je ne sais même pas pourquoi j'ai parlé. Probablement que mon coeur d'enfant est jaloux de ce moment qu'ils partageaient. Je voulais en être partie. Comment dire à un autre mec que ça me touche. Je lève mon chapeau imaginaire. Témoin d'un musicien.