Je ne suis pas certaine de tout ce qui m’entoure. On dirait que la neige tarde à s’inviter dans nos vies. Comme si les festivités ne commenceront pas sans son arrivée. Elle est en retard, au grand plaisir des piétons, qui peuvent respirer l’air frais, plutôt que de s’étouffer sous foulards et mitaines. Mes doigts glissent hors de mes poches. Si blancs qu’ils en ont l’air bleutés. Qu’une petite poupée de porcelaine, déjà trop brisée. C’est triste, d’être fragile. De devoir choisir entre risquer, ou vivre dans une bulle. Ma bulle à moi, elle est douillette. Je me noie dans mes rêves. Ça fait quelques mois, que je n’ai pas travaillé. Mon estomac se retournait, chaque fois que je devais être une autre. Sensuelle, puis gamine, séductrice et ensuite innocente. D’une photo à l’autre, de me reconstruire en quelques secondes. La beauté d’une image sur papier glacé. Je souris tristement, comme les petites choses qui sont oubliées quand la lumière ne se reflète plus sur leurs espoirs métalliques. Je ne serai bientôt plus qu’un souvenir, et je pense que ça me convient. Qui a dit que c’était le rêve, d’être parfaite. D’être mince et blonde. On m’a forcé ce rêve là, on me l’a rentré par la gorge, et maintenant je le vomis par morceaux, me détachant de son emprise. L’air est trop doux pour que noël arrive, ça me trouble, comme cette douce amertume qui me dit que j’ai raté ma vie. Je me sabote petit à petit, pour recommencer à zéro. Je m’accroche à Andrew qui est le seul ami à ne pas faire partie de ce que je laisse derrière. Je me rebâtis lentement, refusant d’emporter toutes les parties de moi que Chuck a touchées. Ça fait encore trop mal, de penser à tout ça, de penser à lui. Alors j’oublie lentement, celle que j’étais avant. Ça fait du bien de respirer, de croire que quelque chose de bien peut m’arriver. Que mon histoire ne fait que commencer.

Le ciel gris pourrait être argenté, comme les rubans festifs qui s’accrochent aux devantures des commerces. Acheter toujours plus. S’ils savaient que les cadeaux n’apportent aucun bonheur. Que cette sensation de vide. Ce besoin de prouver qu’on tient l’un à l’autre par des biens matériels. C’est triste, mais rassurant. Comme si tout était plus beau sous les brillants et les rubans. Comme si le papier à motifs festifs était assez pour rallumer nos flammes, notre volonté éteinte. C’est New York, pas le pays des merveilles. Et puis je fonce dans quelqu’un, étourdie. « Désolée . . . » que je murmure, sans lever les yeux.

« N'emballez pas celle-ci, juste la première. Merci. » Souriant au vieux vendeur de la boutique dans laquelle elle s'était aventurée, elle regarda autour d'elle, le regard brillant. C'était une toute petite boutique surchargée, remplie d'objets anciens, parfois un peu brisés. Il y avait tant de choses entassées, empilées sur chaque étagère – et parfois même par terre – qu'il lui avait fallu plus d'une heure pour faire le tour de tous les trésors qui y étaient cachés. Et puis, elle avait vu les boules à neiges. Elles étaient si belles, leurs globes renfermant milles merveilles. Et elle a vu la tour Eiffel dans l'un d'elle, poussant un petit cri de surprise à sa découverte.

Une jolie boule à neige, enfermant Paris sous un globe de verre. Il y avait un bouton, dessous, qui émettait une douce lumière dorée, quand on l'actionnait. Puis, elle a songé à Aurore, a qui elle voulait offrir un billet d'avion pour qu'elle aille voir un peu sa France, à Noël. Mais elle eut si peur de ne pas la voir revenir qu'elle abandonna l'idée. Elle ne voulait pas voir Aurore partir. Alors, elle allait offrir à Aurore Paris, sous un dôme de verre.

Mais avant de se détourner, elle a vu une seconde boule à neige, représentant une ballerine au sommet d'un glacier. Elle la fixa si longtemps qu'elle eut peur un instant que la petite danseuse se sente mal à l'aise alors, pour se faire pardonner, elle décida de l'acheter. « Et voilà, mademoiselle. Passez de joyeuses fêtes. » Le boutiquier lui tendit son paquet tandis qu'elle rangeant son porte-monnaie, riant à nouveau en prenant la boule à neige enfermant la ballerine dans sa main gauche. « Merci, vous êtes gentil. Passez un joyeux noël, vous aussi. »

Elle quitta la boutique, secouant sans cesse la boule à neige entre ses doigts, pour voir la neige tomber, encore et encore. « Tu es une ballerine, tu n'as pas le tournis, pas vrai ? » elle tapa doucement l'ongle de son index contre le globe, souriante. Une ballerine ayant le tournis, c'est insensé, comme idée. « Ici, tu vois, c'est le magasin de vinyles. J'adore en acheter mais je n'ai pas de tourne-disque, tu vois ? Alors je les amène avec moi quand je vais chez Nathan. Il en a un, lui. D'ailleurs, je lui en ai acheté trois, pour noël. » La boule à neige était trop grande pour ses mains, tanguant à chaque pas qu'elle faisait. Mais elle tanguait tant et si bien qu'elle était certaine, qu'elle était persuadée qu'elle faisait plus que ça. Elle tanguait comme d'autres parlent, lui répondant, à sa façon.

« Je t'amènerai voir ma salle de classe si je veux, plus tard. Je ne sais pas encore à qui t'offrir, je ne vais pas te laisser seule, ce serait méchant de te laisser seule, en attendant. » Elle mordit sa lèvre, songeuse. « Peut-être que tu pourrais m'aider, d'ailleurs, avant de retrouver ton propriétaire. Je ne sais pas quoi offrir à Chuck, ni à Sofia. Ni à Charlie et Ron, d'ailleurs. Ca me turlupine. » Riant doucement, elle a secouer la tête, pensant à Shanya. Elle adorait ce mot. Turlupine, turlupine. Elle le prononçait sans cesse. Il n'existait pas de plus joli mot, selon elle. Il était si beau qu'il pourrait presque être français, ce mot-là.

Elle regarda sa ballerine dodeliner doucement, comment dansante, à la recherche d'un signe, d'une intervention du Destin capable de l'aider à trouver à qui elle appartenait vraiment, cette jolie ballerine. Elle n'était pas pour elle, Lexie en était persuadée.

Percutant doucement quelqu'un, elle entendit un « Désolée... » s'élever, en écho au sien. Riant du bonheur de s'être ainsi faite piquer ses mots, elle quitta sa ballerine ses yeux pour trouver ceux d'une grande blonde. Elle l'avait déjà vu quelque part, elle en était certaine.

« Oh, ça va. Regardez, je n'ai même pas lâché ma boule à neige. Ca aurait été moche, si je l'avais fait, elle se serait tout éparpillée par terre et je n'aurais pas pu l'offrir à quelqu'un. Oh ! Je vous ai vu dans la rue, déjà. Vous étiez sur une grande affiche avec un maquillage très rouge sur les lèvres. Vous étiez si jolie que j'ai acheté le même à ma sœur pour noël, vous savez ? Ma Lux a toujours les lèvres rouges, c'est pour ça que je mets du vernis rouge aussi. Comme ça, j'ai toujours un peu d'elle avec moi, même quand elle n'est pas là. » Elle a regardé ses ongles, songeant à sa Lux et à ses rires, qu'elle traine toujours contre son cœur et jusqu'au bout de ses doigts, qui prennent la couleur de sa sœur. Le rouge est sa couleur préféré, parce qu'elle appartient tout entière à sa sœur. Et elle entend à chaque fois la voix de sa Lux chanter à son oreille « Mon alouette, mon alouette. » Puis, elle se dit que oui, elle est un peu comme une alouette, amoureux de lumière et de couleurs.

« Vous pensez que c'est un beau cadeau, une boule à neige ? Je trouve que ça ressemble à de la magie, surtout celles qui brillent. Ma grand-mère dit toujours que quand la neige tombe du ciel, c'est que le Destin qui saupoudre sur le monde un peu de magie. » Elle rit une nouvelle fois à ce souvenir, espérant de la neige sur la ville pour Noël. Secouant la boule à neige une nouvelle fois, elle regarda la neige tomber doucement sur la ballerine quand elle sentit le vent souffler dans son dos, si soudainement et si fort qu'elle en chancela doucement.

Le vent souffla fort et elle sut. Elle sut que si la petite ballerine ne dansait plus, c'est qu'elle avait enfin trouvé sa propriétaire. Le Destin le lui avait soufflé. « Tenez, elle est à vous. » dit-elle en tendant la boule à neige à la jolie blonde en face d'elle. Puis, pinçant ses lèvres, elle ajouta dans un sourire : « Pour la magie. »

J'ai le coeur à l'envers de ces festivités qui s'annoncent alors que le ciel est trop blanc pour mon coeur un peu gris. J'aurais pu la renverser, la faire tomber, trop étourdie pour penser. J'ai dit désolée, comme si ça pouvait tout effacer. S'excuser comme si c'était une formule magique et que le monde allait s'en porter mieux. On ne refait pas le passé, mais on tente d'en recoudre les déchirures. J'étais une étoffe de soie tissée à la main, qu'on a modelé en pièce unique de haute couture, pour l'oublier dans un atelier quand le fil a lâché, quelques minutes avant le défilé. Mais voilà qu'elle rit comme de jolies cloches qui sonnent. Un quelque chose cristallin dans l'air frais d'un matin perdu. Personne ne rit après s'être fait bousculé, on fait la tête, s'engueule un peu, s'ignore royalement, c'est étrange, c'est perturbant. Le plus troublant, c'est son visage. On dirait que le bonheur lui est collé aux traits, et c'est joli, plus joli que toutes les photos glacées d'un portfolio de menteuse professionnelle. Faut être mannequin, parce que t'es jeune, parce que t'es belle, parce que ça ne durera pas, m'a dit maman, dans tant d'autres mots qui se sont dissous pour laisser place au message en dessous. Et voilà que les clochettes ont une voix sur la même mélodie.

« Oh, ça va. Regardez, je n'ai même pas lâché ma boule à neige. Ca aurait été moche, si je l'avais fait, elle se serait tout éparpillée par terre et je n'aurais pas pu l'offrir à quelqu'un. Oh ! Je vous ai vu dans la rue, déjà. Vous étiez sur une grande affiche avec un maquillage très rouge sur les lèvres. Vous étiez si jolie que j'ai acheté le même à ma sœur pour noël, vous savez ? Ma Lux a toujours les lèvres rouges, c'est pour ça que je mets du vernis rouge aussi. Comme ça, j'ai toujours un peu d'elle avec moi, même quand elle n'est pas là. »

Je ne savais pas qu'une Lux porte un rouge à lèvre qu'on a choisi pour moi, contre beaucoup plus d'argent qu'il est raisonnable. Ça me semble étrangement abstrait. Je n'arrive pas à coincer les mots entre mes doigts pour les retenir. Elle m'a déjà conté dix morceaux d'histoire que je ne peux pas relier, comme s'il manquait des pièces au puzzle. Faut faire plus de sens, je me fais happer par la réalité. Elle me tire au sol comme un boulet retiendrait un prisonnier. Elle a sa boule entre les mains, et la neige y tombe comme elle refuse de le faire dans notre ciel froid et désert. Vide comme nos âmes qu'on a trop tôt vendu au plus offrant

« Vous pensez que c'est un beau cadeau, une boule à neige ? Je trouve que ça ressemble à de la magie, surtout celles qui brillent. Ma grand-mère dit toujours que quand la neige tombe du ciel, c'est que le Destin qui saupoudre sur le monde un peu de magie. »

Mon coeur cesse un instant de se débattre. Cette fille est tout droit sortie d'une histoire fantastique. Un peu plus et on découvre que c'est une princesse à en devenir. Elle serait douce et juste, aimée de tous, comme si le pouvoir n'avait aucune prise sur son âme lisse et paisible. Je me fais des romans toute seule, pour changer. Ça n'existe pas les princesses, que les précieuses sur les affiches de mode. Celles qu'on badigeonne d'artifices au nom de la perfection, créant des complexes à celles qui sont assez naïves pour croire que c'est la vraie vie. Je ne dis rien, mais acquiesce, parce que oui, c'est un beau cadeau, de la neige en capsule, et un rire comme le sien.

« Tenez, elle est à vous. » Dit la jeune femme en me regardant comme si je le méritais. Je voudrais tendre le bras, mais je me dis que non, c'est un mensonge. « Je pourrais pas. . . » Elle ne devrait pas. Je ne suis qu'une inconsciente qui joue avec son propre coeur comme si c'était un jouet, qu'est-ce qui peut bien lui faire croire que je prendrai soin de son cadeau. Il ne faut pas me faire confiance, je ne me fait pas moi-même confiance. C'est évident que je ne sais pas être grande. J'ai pas appris, je ne sais pas jouer sans briser mes jouets. « Pour la magie. » Qui aurait cru que ces trois mots seraient les mots magiques. Quelle meilleure raison qu'au nom de la magie, blanche et rassurante comme la neige. Alors je tend la main, et me dis que c'est probablement la plus jolie chose qu'on m'offrira cet hivers. « Merci, vraiment. » Que je lui dis, ne sachant pas comment on fait quand les gens sont autre chose qu'égoïstement cruels. Je ne sais pas quoi ajouter, si ce n'est que j'aimerais savoir quel nom porte sa générosité. « Je m'appelle Amber, et à qui je dois ce présent ? » Je veux juste savoir son nom, puis je laisserai le monde l'emporter, pour qu'elle distribue cette étrange euphorie qu'elle dégage aux quatre coins de la ville. Je me dis que le père noël me vient cette année dans le corps d'une jolie blonde au coeur grand comme le ciel, une surprise, pour moi, pourquoi pas . . .